What Remains of the George Floyd Case

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Ce qu’il reste de l’affaire George Floyd

Le procès de Derek Chauvin, le policier blanc qui a asphyxié l’Afro-Américain le 25 mai dernier, démarre ce lundi à Minneapolis, sous haute sécurité, avec la sélection du jury. Le drame a provoqué des réformes, mais qui peinent encore à se déployer

Impossible de se promener une journée dans New York sans tomber sur un graffiti ou une affiche qui évoque George Floyd. Ici, comme dans beaucoup d’endroits aux Etats-Unis, l’affaire reste vive. Le 25 mai 2020, cet Afro-Américain est mort asphyxié sous le genou d’un policier blanc, Derek Chauvin. Filmée, la scène a rapidement déclenché de fortes réactions, provoquant un incroyable mouvement de contestation qui a dépassé les frontières américaines. Pendant les 8 minutes et 46 secondes de son agonie à Minneapolis (Minnesota), George Floyd, interpellé après avoir été accusé d’avoir utilisé un faux billet de 20 dollars, a eu le temps de prononcer 20 fois les mots «Je ne peux pas respirer». Mais Derek Chauvin n’a jamais retiré le genou qu’il avait placé sur son cou.

Un racisme institutionnel

L’affaire n’est qu’un triste exemple de brutalité policière anti-Noirs parmi de nombreux autres. Sauf que cette fois, la colère s’est exprimée plus clairement et ne s’est pas cantonnée aux Afro-Américains qui dénoncent injustices et discriminations raciales depuis des décennies. George Floyd est devenu malgré lui une icône de la lutte contre les brutalités policières. Le mouvement Black Lives Matter (BLM) a pris de l’ampleur. «George Floyd a été sacrifié pour que les choses changent», voulait espérer Roger Floyd lorsque nous l’avons interviewé deux mois après la mort de son neveu. Mais ont-elles vraiment changé?

Alors que le procès de Derek Chauvin, pour meurtre au second degré sans préméditation, s’ouvre formellement ce lundi à Minneapolis avec la sélection du jury – les audiences devraient, elles débuter le 29 mars –, la question mérite d’être posée: qu’est-ce qui a vraiment bougé au-delà de la vive émotion déclenchée par le drame, au-delà de la tendance à déboulonner des statues de personnalités incarnant un passé esclavagiste? Le racisme institutionnel systémique, qui gangrène les Etats-Unis, peut-il vraiment être combattu?

Depuis la mort de George Floyd, d’autres bavures policières ont eu lieu, sans bénéficier de la même couverture médiatique. Rien qu’en 2020, environ 1000 personnes sont mortes sous les balles de la police. Les Noirs étaient surreprésentés: ils étaient 28% parmi les victimes alors qu’ils ne représentent que 12% de la population. Pas plus tard que samedi, la police de Rochester, dans l’Etat de New York, a fait à nouveau parler d’elle en raison d’images montrant l’arrestation musclée d’une femme noire en présence de sa fille de 3 ans.

La pression «pour que les choses changent» monte. Le 26 février, le Zurichois Nils Melzer, rapporteur spécial de l’ONU contre la torture, a exhorté l’administration américaine à lancer sans plus attendre de vastes réformes pour tenter d’éradiquer les violences policières et le racisme. Et surtout combattre l’impunité dont les policiers américains, qui recourent excessivement aux armes létales, semblent jouir. Les experts onusiens s’inquiètent aussi ouvertement de la «militarisation» des policiers. Ceci alors que le FBI dénonce depuis des années l’infiltration des forces de l’ordre par des extrémistes de droite et suprémacistes blancs.

Au Congrès, le dossier n’avance qu’à pas de fourmis. Le 4 mars, la Chambre des représentants a adopté un projet de réforme de la police portant le nom de George Floyd, avec un seul républicain qui a voté en sa faveur. Le texte pourrait ne pas passer le cap du Sénat, en tout cas pas dans sa forme actuelle. Un premier va-et-vient a déjà eu lieu entre les deux Chambres. Il prévoit notamment d’interdire les prises d’étranglement, de créer un registre national pour ficher les policiers licenciés en raison d’abus, et de limiter les transferts d’équipements militaires aux forces de l’ordre. Peu après le drame, plusieurs polices locales ont adopté des premières mesures, à commencer par celle de Minneapolis, qui n’autorise plus de prises d’étranglement. Des cours de sensibilisation sont aussi proposés. Et le débat autour des bodycams, ces petites caméras corporelles portées par des policiers et qui permettent de suivre leurs gestes lors d’interventions délicates, reprend de plus belle.

Derek Chauvin risque jusqu’à 40 ans de prison. Il avait été mis en liberté surveillée en octobre dernier contre le versement d’une caution de 1 million de dollars. Le verdict devrait être connu d’ici fin avril ou début mai. En attendant, à Minneapolis, le siège du tribunal où se tiendra le procès a été barricadé et entouré de barbelés. Et le maire de la ville a autorisé le déploiement de 3000 policiers et soldats, ainsi que le recours à des influenceurs pour publier des messages sur les réseaux sociaux visant à abaisser les tensions. Une preuve de l’extrême sensibilité du débat, qui a crispé deux camps aux antipodes, chacun accusant l’autre d’être responsables de violences. En pleine campagne électorale, Donald Trump, qui s’était présenté comme le président de la «loi et de l’ordre», avait d’ailleurs contribué à mettre de l’huile sur le feu.

Mais il y a aussi une autre crainte: celle de voir Derek Chauvin, et les trois autres policiers présents au moment du drame, qui seront jugés séparément, bénéficier d’une peine clémente. Dans d’autres affaires similaires, des policiers ont été blanchis par la justice. C’est le cas d’agents accusés d’être impliqués dans la mort de Breonna Taylor, une jeune ambulancière tuée chez elle, en pleine nuit: deux policiers ont bénéficié d’un non-lieu et le troisième a été inculpé… parce qu’une balle avait transpercé un mur et mis les voisins en danger.

Le président démocrate Joe Biden multiplie de son côté les gestes pour prouver qu’il fera de la lutte contre le racisme une de ses priorités. «Un homme noir devrait pouvoir faire un jogging sans craindre pour sa vie», a-t-il par exemple tweeté le 23 février, un an après le lynchage d’Ahmaud Arbery par deux Blancs dans une petite ville de Géorgie.

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