Ces disciplines venues des Etats-Unis provoquent des remous au sein de l’université française et alimentent un nouveau militantisme radical. Si vous voulez comprendre ce qui se joue et comment cela touche notre société, lisez notre grand dossier.
Faut-il craindre l’essor des théories sur le genre, la race, l’intersectionnalité ou le décolonialisme ? En déclenchant une polémique monstre avec ses propos sur “l’islamo-gauchisme” à l’université, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal a mis en lumière ces disciplines venues des Etats-Unis. Des champs académiques focalisés sur les discriminations contre les minorités identitaires, et qui alimentent à gauche un militantisme radical. En France, les dogmes de cette mouvance, tels le “privilège blanc”, le “racisme systémique”, la “culture du viol” ou la “masculinité toxique” sont encore peu connus du grand public, comme le révèle un sondage exclusif de l’Ifop pour l’Express. Mais aux Etats-Unis, le phénomène a depuis plusieurs années débordé des campus universitaires pour s’inviter dans le monde de l’entreprise, à tel point qu’un mot le résume : “woke”.
Dans un grand dossier, L’Express a enquêté sur cette bataille dans les facultés françaises. Nous sommes aussi allés voir le cas de la Grande-Bretagne où l’on déboulonne les statues de Winston Churchill. Steven Pinker, professeur star à Harvard, nous a accordé un grand entretien sur le sujet. Pour lui, ces théories identitaires représentent une vraie menace pour le libéralisme classique et l’universalisme hérité des Lumières. “Cette folie woke est aujourd’hui l’affaire de tous” avertit-il… Voici les cinq articles à lire pour comprendre les enjeux de cette nouvelle guerre culturelle.
Aux Etats-Unis, le phénomène est tel qu’un nom le résume : “woke”. Est woke toute personne dite “éveillée” aux injustices sociales de race ou de genre. A l’image du mouvement Black Lives Matter, les wokes représentent la version militante et active de ces théories universitaires sur la race ou le genre. Certains vont jusqu’à parler d’un “Great Awokening” (“grand éveil”) pour dénoncer la nature religieuse de cette mouvance, avec sa vision binaire et moralisatrice, ses dogmes abscons et son puritanisme. Barack Obama lui-même avait fustigé, en 2019, cette course à la pureté woke, assurant que le monde est bien plus “compliqué et ambigu” que cela.
Dans toutes les facs de France, les départements de sciences humaines à l’université sont traversés par les tensions extrêmes autour des usages de nouveaux concepts scientifiques, particulièrement ceux liés aux discriminations en raison de la couleur de peau ou du genre. De plus en plus, la science et le militantisme woke, comprendre “progressistes nouvelle génération”, se mêlent : des enseignants font du “racisme d’Etat” en France une réalité scientifique tandis que d’autres voient dans l’écriture inclusive un progrès indéniable, confirmé par des études. Depuis l’irruption de ces études, le conflit entre chercheurs s’envenime.
Sur ce plan aussi nos voisins ont beaucoup d’avance. Outre-Manche, études de genre et théories de la race sont arrivées dès les années 1990 dans les universités. Aujourd’hui, supporters et contempteurs s’affrontent en un combat stérile et sectaire. Si un pays comme la Grande-Bretagne s’accommode très bien du relativisme culturel et du multiculturalisme qui constituent une partie de son ADN, elle a cependant plus de mal avec les atteintes à une liberté d’expression dont ses plus grandes universités ont été, historiquement, des bastions. L’opportuniste Boris Johnson, toujours à la recherche d’une bataille culturelle à mener, a promis de réagir avec une nouvelle loi et la nomination d’un “garant de la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur” qui pourrait distribuer des amendes aux universités…
Le professeur star de Harvard et chantre de la rationalité y va sans ambages : “Cette orthodoxie woke emprunte au pire de l’idéologie de l’apartheid et du nazisme. On y trouve cette idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par son genre, sa race ou son ethnicité, que nos opinions peuvent être prédites selon le groupe auquel on est rattaché, et que la justice ne peut être pensée qu’en fonction de la moyenne relative de chaque groupe”. Dans le grand entretien qu’il accorde à L’Express, l’auteur du “Triomphe des Lumières” s”inquiète de ces thèses identitaires et de la tournure de plus en plus religieuse qu’elles prennent aux Etats-Unis.
Même “pour la bonne cause”, cette façon de découper la société en identités blessées sécrète du conflit. Et empêche le dépassement de l’altérité par la fraternité et la citoyenneté. Que la gauche dite progressiste s’y fourvoie est assez incompréhensible, d’autant plus que cette nouvelle idéologie fait l’impasse sur le social. Voilà qui devrait être, au moins, l’occasion d’un débat. Mais ce dernier est rendu impossible : en survalorisant l’individu souffrant et en étendant sans cesse le domaine de l’offense, la pensée “woke” impose le règne des offusqués sur la raison et l’argumentation.
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