Chinese-American Rivalry on Joe Biden’s Watch and the Thucydides Trap

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Au Vème siècle avant J-C, Thucydide, l’historien athénien, expliquait la guerre du Péloponnèse par la crainte qu’Athènes, puissance montante, inspirait à Sparte, puissance établie : «Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable». Le couple antagonique de ce XXIème siècle, la Chine – puissance montante – et les Etats-Unis – puissance établie -, peuvent-ils échapper à cette fatalité éprouvée au cours des cinq cent dernières années ? Ancien journaliste et ancien Ambassadeur du Gabon en Chine, le diplomate Emmanuel Mba Allo brosse les contours et la dynamique de cet antagonisme larvé.

Ancien journaliste, Emmanuel Mba Allo est diplomate : ancien Porte-parole du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération de la République gabonaise et ancien Ambassadeur du Gabon en Chine. © D.R.

La Chine qui célèbre cette année les cent (100) ans du Parti communiste chinois (créé le 1er juillet 1921 à Shanghai) est la plus belle réussite de développement que le monde ait jamais connue. Jamais encore dans l’histoire de l’humanité, un aussi grand pays, le plus peuplé du monde (1,400 milliard d’habitants) n’avait connu de telles transformations dans un espace de temps aussi court. En moins d’un siècle, la Chine est passée de la plus abjecte pauvreté au rang de grande puissance économique, scientifique, technologique et militaire. Aujourd’hui, le rêve chinois du président Xi Jinping, d’une puissance forte et prospère après des siècles d’humiliation semble se réaliser, même si les défis sont énormes.

Cette irruption d’un nouveau géant, un pays qui réunit le quart de la population mondiale, n’est pas sans provoquer, naturellement, quelques appréhensions, voire quelques craintes. « La Chine m’inquiète », faisait dire en passant, l’écrivain français Marcel Proust à la Duchesse de Guermantes dans « A la recherche du temps perdu ». Nombreux sont ceux qui aujourd’hui reprennent volontiers à leur compte cette formule badine.

Dans son ouvrage, « Le Grand Échiquier, l’Amérique et le reste du monde » (Editions Bayard, Paris, 1997), Zbigniew Brzezinski (conseiller à la sécurité nationale de l’ancien président américain Jimmy Carter) décrit la Chine comme l’un des cinq acteurs géostratégiques du monde dont les choix stratégiques ont des répercussions sur l’architecture de l’ordre mondial et qui sont susceptibles d’affaiblir la suprématie américaine. « Si la Russie est nuisible, ni l’Inde, ni la France, ni l’Allemagne ne poursuivent une politique visant à éroder la suprématie américaine » écrit Brzezinski. Il relève que seule la Chine possède à la fois les capacités et l’intention à peine voilée de façonner l’ordre mondial afin qu’il corresponde mieux à ses ambitions, ce qui suppose un effacement progressif de l’Amérique.

Les Etats-Unis semblent désormais estimer qu’ils ne peuvent pas affronter la Chine et la Russie à la fois. Dans les décennies qui viennent, leur principal rival géopolitique sera Pékin. Sur ce sujet, un consensus existe même entre l’administration démocrate de Joe Biden et les républicains. « Donald Trump a eu raison d’avoir une position plus ferme face à la Chine », a reconnu Antony Blinken, le Secrétaire d’Etat de Joe Biden, devant les sénateurs du congrès américain, tout en marquant son « désaccord » sur la stratégie de l’ancien président américain « sur de nombreux points ».

Le nouveau Chef de la diplomatie américaine a toutefois estimé que cette fermeté devait s’appuyer sur une diplomatie différente par rapport à l’unilatéralisme qu’il a reproché au gouvernement républicain. « Nous devons faire face à la Chine depuis une position de force, pas de faiblesse », a-t-il plaidé, en assurant que cela impliquait de « travailler avec les alliés au lieu de les dénigrer, de participer et mener les institutions internationales plutôt que de s’en désengager ». Quitter les cénacles multilatéraux « laisse la place à la Chine pour écrire les règles et les normes et pour animer ces institutions », a-t-il relevé.

« Si on ne fait rien, ils vont nous écraser », a lancé le président Joe Biden en février dernier, au lendemain de son premier échange téléphonique avec son homologue chinois Xi Jinping. La Maison Blanche avait alors dit qu’il avait évoqué sans détour tous les sujets de friction, de Hong Kong à Taïwan, en passant par la guerre commerciale ou les violations des droits de la minorité musulmane ouïghoure dans la province chinoise du Xinjiang. Il y a donc une forme de continuité Trump-Biden sur la « compétition stratégique » avec le géant asiatique.

Les Etats-Unis sont donc engagés dans une confrontation tous azimuts avec la Chine, afin, justement, de l’empêcher de leur prendre la place de première puissance mondiale.

A l’évidence, la Chine possède désormais tous les attributs d’une grande puissance. Mais, elle s’est toujours défendue de visées dominatrices, répétant à l’envi depuis l’époque de Mao qu’elle ne cherchera jamais à dominer le monde, laissant ce terrible travers à l’Union Soviétique hier et aux Etats-Unis aujourd’hui. Elle dit poursuivre une voie de développement pacifique, sans ambitions hégémoniques, une trajectoire fondée sur des coopérations « gagnant-gagnant » dans le domaine économique et commercial, le respect des cultures et la souveraineté des Etats, en conformité avec sa tradition de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats. La Chine œuvre de concert avec les autres pays, à construire un monde de paix durable, de sécurité collective et de prospérité commune.

Cette configuration de deux grandes puissances en compétition recouvre ce que le politologue américain Graham Allison appelle « le piège de Thucydide ». Au Vème siècle avant J-C, l’historien athénien (Thucydide) expliquait la guerre du Péloponnèse par la crainte qu’Athènes, puissance montante, inspirait à Sparte, puissance établie. « Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable. », disait Thucydide.

Graham Allison y voit une loi quasi physique des relations internationales : sans l’avoir toujours cherché, du fait de l’escalade d’un différend local et du jeu des alliances, la puissance établie finit souvent par entrer en guerre avec la puissance montante.

Au cours des cinq cent dernières années, le politologue américain relève seize occurrences du « piège de Thucydide ». Douze fois, le piège a débouché sur la guerre. Quatre fois, seulement, celle-ci a été évitée. Le couple antagonique de ce XXIème siècle, la Chine – puissance montante – et les Etats-Unis – puissance établie -, peuvent-ils échapper à cette fatalité statistique ?

« La Chine et les Etats-Unis sont deux pays aux systèmes sociaux différents. Il est naturel qu’ils ont des désaccords. L’important, c’est de gérer effectivement ces désaccords par des échanges francs pour éviter les erreurs d’appréciation stratégique, le conflit et la confrontation », a déclaré le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, en marge des travaux de la quatrième session de la 13ème Assemblée populaire nationale (APN) qui s’est tenue du 5 au 11 mars à Pékin.

En novembre 2013, rapporte le journaliste Gidéon Rachman, du Financial Times, le président chinois Xi Jinping déclarait à des visiteurs occidentaux : « nous devons travailler ensemble pour éviter le piège de Thucydide ». Et au cours du sommet qui les a réunis en 2015, les présidents Barack Obama et Xi Jinping ont longuement discuté du Piège. Malgré la tension structurelle produite par la montée en puissance de la Chine, a déclaré Barack Obama, « les deux pays sont capables de gérer leurs désaccords ».

Graham Allison, dans son essai « Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ? » (Editions Odile Jacob, Paris) prodigue des conseils de modération à Pékin, tout en avisant Washington de ne pas confondre ses intérêts vitaux et ceux de ses alliés asiatiques. S’extraire du piège de Thucydide consisterait à ne pas multiplier sans nécessité les lignes rouges, les culs-de-sac décisionnels dont on ne voit plus à terme comment sortir sans perdre la face, sauf par la guerre.

Emmanuel MBA ALLO

Ancien Ambassadeur du Gabon en Chine

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