Joe Biden et la Chine: le piège de Thucydide
LUC LALIBERTÉ
Je ne suis pas le premier à évoquer le nom du grand historien grec Thucydide en observant et commentant l’état des relations entre la Chine et les États-Unis. Graham Allison, chercheur et professeur émérite associé à l’Université Harvard, a d’ailleurs publié un texte qui fait autorité en la matière.(1)
Alors que débute la rencontre entre les représentants chinois et américains en Alaska, les tensions sont telles qu’on sent le besoin de rappeler le fameux «piège» évoqué par Thucydide dans son explication du conflit entre Athènes et Sparte. Au IVe siècle avant Jésus-Christ, l’historien avance qu’une des causes majeures de ce qu’on a appelé la guerre du Péloponnèse réside dans la crainte d’une puissance établie, Sparte, de voir une puissance émergente, Athènes, la supplanter.
La Chine et les États-Unis se dirigent-ils irrémédiablement vers un conflit armé? Si on ne peut balayer cette possibilité du revers de la main à moyen ou long terme, il y a encore bien des bras de fer en perspective et bien des options sur la table. Si les attaques verbales auxquelles se sont livrées les deux parties hier n’avaient rien de bien rassurant, il ne faut pas y percevoir tout de suite une escalade majeure ou un point de non-retour.
Le départ de Donald Trump explique en partie le spectacle auquel nous avons eu droit jeudi. On s’étudie encore un peu avant d’établir une liste de priorités et, si l’autre partie ne nous est pas inconnue, on prend la mesure de sa détermination et des enjeux les plus importants.
Si les représentants du gouvernement américain ont vociféré les reproches habituels à l’égard des dirigeants chinois, en insistant sur le déficit démocratique et le non-respect des droits de l’homme, cette première salve était essentiellement émotive. On s’attend à ce que les États-Unis fassent la promotion de leurs valeurs et de la démocratie, mais je crois que l’on ne pourra progresser que si l’on adopte une position plus pragmatique.
En attendant de dégager plus distinctement les enjeux stratégiques privilégiés par l’administration Biden, on observe que le nouveau président se démarque de son prédécesseur en refusant d’isoler son pays.
La zone Asie-Pacifique est d’une importance capitale dans le repositionnement des puissances. La nouvelle administration américaine y renoue des liens avec de multiples partenaires comme la Corée du Sud, l’Inde, le Japon ou l’Australie, parce que les États-Unis n’ont plus les moyens de s’imposer seuls.
Si les États-Unis se retrouvent dans la position de la Sparte antique, c’est autant en raison de la progression et de l’évolution d’acteurs comme la Chine que parce que, plus récemment, on a abandonné un leadership auquel les prédécesseurs de Donald Trump s’accrochaient encore.
Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, nous en saurons plus sur la capacité des Américains à reprendre un rôle de meneurs sur la scène internationale, tout comme on verra un peu plus clair dans ce qui sera priorisé pour s’ajuster à la croissance et au rayonnement de la Chine.
Saura-t-on éviter le piège de Thucydide? Il faut espérer que oui et je crois qu’on y parviendra. Pour le meilleur et pour le pire, les deux puissances ont encore besoin l’une de l’autre. Le pire sera évité à court terme, mais on ne pourra se contenter de cette seule perspective. Les États-Unis ont besoin d’une nouvelle stratégie pour le moyen et le long terme, et ils accusent un retard important sur leur principal rival.
1. Graham Allison, Destined for War: Can the United States and China Escape Thucydides’s Trap?, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2017
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