La section Débats accueille dans ses écrans une nouvelle collaboratrice. Martine St-Victor, femme d’affaires et stratège en communication, nous livrera une fois par mois son point de vue aiguisé sur différents sujets. Bonne lecture !
Parce que nous étions presque tous à la maison, le premier confinement de l’année dernière a été un rappel de ce qui est la plus grande force de la télévision, soit celle de créer une expérience commune, en fédérant un très grand nombre de personnes autour de rendez-vous ponctuels.
Pendant des mois, nous étions nombreux autour du monde à suivre — comme plus de 50 millions d’Américains — les points de presse quotidiens d’Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New York qui était, au tout début, l’épicentre de la pandémie aux États-Unis. Ses points de presse étaient évidemment d’intérêt national, mais grâce à leur diffusion en direct notamment sur CNN — donc dans plus de 200 pays et territoires —, ils sont aussi devenus des incontournables à l’international.
Tous les jours, Cuomo offrait une classe de maître en communication politique. Ses interventions contenaient assez d’anecdotes personnelles pour humaniser davantage cette chose que nous ne comprenions pas encore et elles étaient ponctuées d’assez de graphiques et de photos pour illustrer sa gravité. En très peu de temps, le style Cuomo a été copié par plusieurs dirigeants, confirmant l’influence de celui que beaucoup souhaitaient voir dans la course à la présidence américaine.
Et s’il est vrai que réussir ses points de presse est important pour un politicien, il n’en demeure pas moins que c’est la moindre des choses, surtout pour un gouverneur qui, avant de remplir ce troisième mandat, a successivement été gérant de la campagne politique de son père Mario dans les années 80, patron du département du logement et du développement urbain sous l’administration Clinton, et procureur général de l’État de New York en 2006.
Mais comme c’est maintenant trop souvent le cas, nous avons fait d’un politicien une célébrité, et du normal, un phénomène.
Prix Emmy international, frontispices de grands magazines, portraits dans les plus grands journaux d’ici et d’ailleurs, son livre sur le leadership et sur la gestion de crise écrit en pleine pandémie hissé au sommet des meilleurs vendeurs, fanfares et trompettes, Andrew Cuomo a reçu un traitement médiatique et une admiration qui auraient dû être réservés à ceux qui ont développé les vaccins contre la COVID-19. Mais la barre était placée bien bas. En 2020, les États-Unis étaient dirigés par un médiocre qui n’a pas su gérer la crise, n’a pas su écouter la science ni reconnaître la douleur des endeuillés. Alors que le monde entier avait besoin d’un leader qui donnerait le ton — un rôle qui a souvent été joué par le président des États-Unis —, nous nous sommes contentés d’un gouverneur.
En exagérant ses accomplissements, nous avons nourri l’ego d’un homme qui aujourd’hui se croit intouchable et à l’abri de tout. Les allégations de harcèlement et d’inconduite sexuelle auxquelles Andrew Cuomo fait face depuis le mois dernier auraient tchernobylisé la majorité des politiciens. Plusieurs ont plié bagage pour bien moins. Et à ses neuf accusations — que nie le gouverneur — s’ajoutent celles de dissimulation de données exposant un nombre inquiétant de morts dans les maisons de retraite de l’État de New York. Mais Cuomo défie les appels presque unanimes des ténors du Parti démocrate qui demandent sa démission.
Andrew Cuomo devrait-il démissionner ? Non. Mais pour assurer une bonne gouvernance, au-delà des distractions et des soupçons, il serait sage qu’il prenne du recul en travaillant en arrière-scène, dans un rôle second ou tiers, en laissant sa lieutenante Kathy Hochul diriger l’État, le temps d’une investigation complète qui donnerait l’heure juste en l’innocentant, ou non.
Un sondage publié il y a quelques jours a révélé que le taux d’approbation d’Andrew Cuomo dépassait les 50 %. C’est un pourcentage qui doit faire rêver plusieurs politiciens qui, eux, pourtant, n’ont pas l’ombre d’une controverse à leur actif. Ce taux d’approbation invraisemblable reflète notre manie de couronner des rois qui ne le sont pas, à qualifier de superhéros des gens qui n’ont pourtant aucun pouvoir surnaturel et celle d’utiliser le mot icône à outrance. L’image du monarque tout-puissant et d’héritier de dynastie est celle que vendait Andrew Cuomo et il a trouvé preneur.
Serait-il possible que notre attirance envers la célébrité dilue notre lucidité ? Et quid du progrès des deux dernières années du mouvement #metoo ?
Un progrès marqué notamment par notre plus grande sensibilité envers les présumées victimes, au moins le temps d’un procès ou d’une enquête.
En remettant le prix Emmy International à Andrew Cuomo en novembre dernier, l’Académie de la télévision a souligné que « les 111 points de presse du gouverneur étaient efficaces parce qu’il [Cuomo] avait réussi à créer une émission de télévision avec des personnages ainsi que des intrigues d’histoires de succès et d’échecs ». Sauf qu’on ne parle pas d’une série fictive à la The West Wing mais bien de points de presse d’une pandémie qui, à son apogée, faisait plus de 500 victimes par jour dans l’État qui, s’il était une nation indépendante, serait la 10e économie en importance du globe.
Cette confusion entre la fiction et la réalité expliquerait-elle en partie comment le pays le plus puissant du monde s’est retrouvé avec une star de téléréalité comme commander-in-chief ? La couverture médiatique que continue de recevoir Andrew Cuomo dans les médias canadiens est signe que même nous avons cet appétit pour le spectacle politique. Avec possiblement plus d’une élection dans les prochains mois, souhaitons que cette faim ne soit pas au détriment de candidats qui ont la compétence mais pas le sens de la mise en scène.
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