Social Values over Profits: Joe Biden and the Later New Deal

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Plans de relance et d’investissement aux montants colossaux, volonté d’augmenter les impôts des entreprises et des plus aisés : le nouveau président américain, qui s’inspire ouvertement de Roosevelt, rompt avec les dogmes économiques dominants.

La phrase a été lancée par l’entourage de Joe Biden, comme un cap dont il ne faudrait surtout pas dévier : « Il faut agir et agir maintenant. » Une sommation que les conseillers du nouveau président américain sont allés chercher dans le discours d’investiture d’un de ses prédécesseurs à la Maison-Blanche : Franklin Delano Roosevelt.

Le 4 mars 1933, dans un pays dévasté par les conséquences du krach de 1929, ce dernier donnait les grandes lignes d’une politique d’intervention tous azimuts de l’Etat qui restera connue sous le nom de « New Deal » : plus question de s’en remettre aux seules forces du marché, place à l’intervention publique dans l’économie. Et Roosevelt, dans ce même discours, d’expliquer :

« L’ampleur de la restauration du pays dépendra de notre capacité à mieux prendre en compte les valeurs sociales plutôt que le profit. »

C’est cet héritage que revendique Biden aujourd’hui. Une filiation que « l’Obs » a choisi de porter à sa une cette semaine tant elle marque une profonde rupture dans la gestion des affaires économiques telle qu’elle est menée depuis quarante ans. « Le monde d’après », si fantasmé durant les premiers mois de la pandémie, et ensuite si moqué par les cyniques de tout poil, est en train d’émerger et il se façonne à Washington.

En moins de cent jours à la Maison-Blanche – il les fêtera le 30 avril –, Biden a engagé à tout-va des milliers de milliards de dollars de dépenses, pour la transition énergétique, les transports, la recherche, la protection sociale, mais aussi augmenté les impôts des plus riches et ceux des entreprises. Autant de clous dans le cercueil de ce que l’on a appelé, depuis son avènement au début des années 1980, « ultralibéralisme », « reaganisme », « capitalisme financier » ou « thatchérisme », et que son principal inspirateur, l’économiste Milton Friedman, avait résumé ainsi : « Le marché réduit grandement le champ des questions auxquelles doivent être données des réponses politiques. »

Casser le cercle mortifère du « toujours moins »

Alors certes, l’équilibre politique sur lequel s’appuie Joe Biden est fragile. Certes, on a déjà vu s’esquisser par le passé des « mondes d’après » qui ne se sont finalement jamais matérialisés. Mais rien que sa volonté d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 % – ce qui serait la plus forte hausse fiscale aux Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale – marque une rupture fondamentale tant les pays riches n’ont cessé, depuis quarante ans, d’aller dans l’autre sens.

C’est l’espoir qu’enfin les Etats cessent cette course à la compétitivité fiscale et cassent le cercle mortifère du « toujours moins ». Déjà, cette mesure de Biden inspire ailleurs, au Royaume-Uni, par exemple, où Boris Johnson vient de décider lui aussi d’augmenter l’impôt sur les sociétés.

Il faut bien avouer qu’en même pas cent jours tout a changé, et que l’Union européenne, et singulièrement la France, semblent engluées dans un autre temps : l’une et l’autre n’ont concédé que de timides plans de relance, dont les montants font pâle figure comparés à ceux engagés par Biden. Sans doute est-ce parce que la France n’a jamais épousé le libéralisme anglo-saxon comme les autres qu’elle n’éprouve pas le besoin de braquer aussi radicalement le manche – notre pays est toujours resté un de ceux, sinon celui, où la dépense publique est la plus forte.

Mais, par comparaison, les choix de Biden rendent pourtant plus que discutables ceux de la France qui, après avoir supprimé ces dernières années une bonne partie de l’ISF et réduit la taxation des revenus du capital, prévoit toujours de baisser l’impôt sur les sociétés. Il serait fort dommage de rester durablement à contretemps, au moment où sont réparées tant d’erreurs passées.

Clément Lacombe

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