Republican Counterattack against the Web Giants

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Floride Contre-attaque républicaine contre les géants du web

Le gouverneur républicain Ron DeSantis vient de donner son aval à un projet de loi qui vise à empêcher les firmes exploitant des réseaux sociaux d’exclure des politiciens en campagne tout en facilitant le lancement à leur encontre de poursuites par des particuliers s’estimant victimes de censure.

Publié le 26 mai 2021 à 6h00 Partager

Marc ThibodeauMARC THIBODEAU

LA PRESSE

L’initiative a tout pour plaire aux partisans de l’ex-président Donald Trump, qui ne décolèrent pas contre les géants de la Silicon Valley depuis que les comptes du politicien ont été fermés par Facebook, Twitter et YouTube dans la foulée de l’assaut contre le Capitole, à Washington, en janvier.

Bien qu’elle soit potentiellement porteuse sur le plan politique, la nouvelle loi risque de faire long feu sur le plan juridique, puisqu’elle contrevient, selon plusieurs analystes, aux protections constitutionnelles dont bénéficient les entreprises mises en cause.

M. DeSantis n’a pas soufflé mot de ces limites devant un parterre d’admirateurs qui ont chaleureusement accueilli son intention de forcer la main aux dirigeants des réseaux sociaux.

« Les gens de la Silicon Valley pensent qu’ils savent ce qui est bon pour vous. […] Ils ont utilisé leur pouvoir incontesté pour imposer leurs orthodoxies et leurs idéologies dans l’espace public, mais ce n’est pas comme ça qu’une société libre devrait fonctionner », a-t-il plaidé en reprochant aux entreprises de censurer le camp républicain.

[Les] standards [des entreprises de la Silicon Valley] changent constamment. Si vous êtes du mauvais côté, il semble que la plus petite faute suffit à vous faire disparaître. Si vous êtes du bon côté, de leur point de vue, vous pouvez vous en tirer avec ce que vous voulez.”

Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride

La nouvelle loi vise plus spécifiquement à empêcher tout exploitant de réseaux sociaux d’exclure de sa plateforme un candidat politique ou de cacher le contenu qu’il met en ligne entre le moment où sa candidature est officialisée par les autorités électorales et la date de l’élection. Toute suspension abusive est passible d’une amende de 250 000 $ par jour.

Les utilisateurs ordinaires qui sont exclus, suspendus ou censurés doivent par ailleurs recevoir un préavis expliquant « le raisonnement détaillé ayant mené » à la décision de manière à pouvoir la contester.

S’ils estiment être victimes d’une injustice, ils pourront ensuite entreprendre une poursuite contre les entreprises. L’État lui-même se donne le pouvoir d’intervenir à ce sujet et de réclamer les algorithmes utilisés par les entreprises pour décider du traitement d’un message.

Contestations judiciaires

Dans une lettre ouverte, un responsable de la Computer and Communications Industry Association, Matt Schroers, a prévenu que la loi risque de compromettre la capacité des entreprises de réguler le contenu en ligne pour assurer un environnement sécuritaire à leurs usagers. Il a par ailleurs souligné que de nombreuses firmes n’auraient pas les moyens de faire face à une avalanche de poursuites.

Pierre Trudel, qui est rattaché au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, pense que la loi va rapidement mener à des contestations judiciaires qui risquent de tourner à la faveur des exploitants de réseaux sociaux.

L’article 230 du Communications Decency Act, initialement introduit pour faciliter la lutte contre la pornographie, confère à Facebook, Twitter, etc. « le droit de bloquer ou d’exclure quelqu’un ou encore de ne rien faire », et aurait sans doute préséance devant les tribunaux sur la législation floridienne, relève l’analyste.

L’amendement de la Constitution américaine protégeant la liberté d’expression joue dans le même sens, relève M. Trudel, puisque les entreprises privées peuvent l’évoquer pour affirmer leur droit de réguler le contenu en ligne comme elles l’entendent.

Forte polarisation politique

La question pourrait cependant se compliquer, dit M. Trudel, en considérant l’importance que les grands réseaux sociaux ont prise dans la vie publique.

« À quel point est-ce que ce sont les plateformes qui doivent bénéficier de la liberté d’expression plutôt que les citoyens qui s’expriment dans ces environnements-là ? », souligne le professeur, qui insiste sur la nécessité de réfléchir à la transformation de la notion d’espace public et à la portée juridique du phénomène.

La question de la gestion du contenu en ligne est compliquée plus encore aux États-Unis par les doléances des démocrates, qui accusent, à l’inverse des républicains, les géants de la Silicon Valley de ne pas intervenir suffisamment pour contrer la désinformation et la propagande haineuse.

Une révision de l’article 230, qui est souvent évoquée par des élus des deux formations en lien avec des rebondissements de l’actualité, paraît nécessaire, mais il est loin d’être clair qu’elle puisse être menée à bon terme dans le contexte de forte polarisation politique existant au sud de la frontière, dit M. Trudel.

« Je ne suis pas très optimiste à ce sujet », relève-t-il.

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