C’est à un véritable marathon que participent les 136 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) afin d’en arriver à une entente sur l’introduction d’une taxe mondiale minimum sur les profits des multinationales. Un marathon à obstacles, devrait-on ajouter, comme le sont toutes les négociations qui impliquent autant de pays aux intérêts souvent différents, voire carrément contradictoires.
Rappelons que l’idée d’une taxe minimum mondiale sur les profits vient du constat que les plus grandes sociétés multinationales parviennent à éviter de payer des impôts là où elles effectuent la plus grande partie de leurs ventes en transférant une large part de ces recettes dans des filiales réelles ou virtuelles enregistrées dans des paradis fiscaux.
Selon une évaluation du Fonds monétaire international (FMI), les États nationaux seraient ainsi privés annuellement de recettes fiscales de l’ordre de 500 à 600 milliards de dollars américains, autant d’argent qui aboutit dans les poches des actionnaires au lieu de servir à l’amélioration des services publics et des infrastructures.
Les gouvernements de plusieurs grands pays cherchent depuis longtemps à corriger la situation, des efforts neutralisés par les États-Unis de Donald Trump qui y voyaient un obstacle à l’expansion des géants du numérique américains.
Les choses ont changé depuis l’arrivée du président Biden, dont le gouvernement vient de proposer une taxe minimum mondiale d’un pourcentage se situant entre 15 % et 21 %, soit davantage que les pourcentages discutés jusqu’ici à l’OCDE. On avance même les 9 et 10 juillet prochains, dates de la rencontre du G20, comme première échéance des négociations qui pourraient conduire à une entente plus tard, cet automne.
Cela dit, la partie est loin d’être gagnée pour les défenseurs d’un taux de taxation minimum mondial. D’abord, il y a le fait que la proposition américaine limiterait l’application aux seules très grandes sociétés, soit une centaine à peine, pour ne pas nuire à la compétitivité des firmes américaines en pleine croissance.
Il faut comprendre que l’objectif premier des démocrates est de passer le message aux grandes sociétés américaines qu’elles doivent payer leurs impôts aux États-Unis. En conséquence, si vous payez moins que 21 % d’impôt sur l’ensemble des profits réalisés dans le monde grâce à des jeux comptables et à des avantages indus consentis par certains pays, vous allez de toute façon devoir payer la différence à Washington.
Si l’idée est intéressante pour les finances publiques étasuniennes, elle ne satisfait pas les attentes d’une majorité de pays qui souhaitent étendre l’impôt minimum à un grand nombre de multinationales.
Puis, il y a le taux d’imposition lui-même. Jusqu’à tout récemment, les pays comme la France et l’Allemagne parlaient d’un taux entre 12,5 % et 14 %. Or, à 15 % ou plus, il sera difficile de convaincre des pays comme l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg, reconnus pour leurs règles fiscales très avantageuses pour les investisseurs étrangers.
Déjà, l’Irlande a rejeté de façon catégorique la proposition américaine. Pas question de hausser au-delà de 12,5 %, soit le taux actuel, l’impôt sur les profits des sociétés qui choisissent d’établir leur siège social européen à Dublin.
L’Irlande n’est pas seule dans son camp. En fait, tous les petits pays qui, faute d’un large bassin de consommateurs, ont adopté la stratégie d’une fiscalité ridicule y perdront. Si des aménagements devront être trouvés pour éviter la faillite de quelques pays moins développés, ce n’est certainement pas le cas des trois nations nommées ci-dessus.
Pour le moment, faute d’entente internationale, certains pays comme la France et bientôt le Canada ont choisi d’imposer les revenus totaux récoltés sur leur territoire par les géants du numérique, et non les profits, qui sont difficiles à calculer sur une base locale. Dans son dernier budget, notre ministre fédérale des Finances, Christia Freeland, a ainsi prévu une taxe de 3 % sur les recettes perçues en ligne par les sociétés étrangères auprès des clients canadiens. Cette taxe disparaîtrait certainement advenant un accord international fixant un taux et une méthode de calcul des profits à l’échelle locale.
Des dizaines d’autres obstacles, certains très techniques comme l’établissement des activités touchées, d’autres plus politiques comme les querelles incontournables entre la gauche et la droite, surgiront au fur et à mesure que les négociations avanceront. Il va sans dire que la présence des États-Unis autour de la table ajoute à l’intérêt de ces négociations dont la conclusion, même imparfaite, viendrait corriger une partie des iniquités créées par la montée en puissance des géants du numérique dans l’univers commercial.
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