Europe’s Historic Geopolitical Responsibility in the Face of China-US Conflict

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En mettant tout son poids dans la construction d’une gouvernance mondiale dont, avec la Chine et les États-Unis, et malgré leur différend, elle pourrait prétendre à jouer une part active dans le pilotage d’un G3 bien plus représentatif que le G7 actuel.

Le monde a vu son cours fixé par l’Europe et l’Occident depuis la Révolution industrielle, à travers la colonisation. Certes le progrès sanitaire, éducatif et agricole ou minier, a le plus souvent accompagné l’exploitation des ressources et des hommes. Pourtant le fossé Nord-Sud reste béant en bien des points du globe. Et si la mondialisation des années 80 a permis à l’Asie de l’Est de réussir son rattrapage, un déséquilibre grave persiste entre continents. La morale humaniste dont ils se réclament, impose aux pays avancés de réduire cet écart dont ils portent la responsabilité.

Mais aujourd’hui s’ajoutent d’autres raisons puissantes d’agir. Le réchauffement climatique, la perte de diversité et dorénavant les pandémies qui lui sont liées confèrent une nouvelle dimension aux rapports Nord-Sud. Le fossé Nord-Sud aggrave la menace contre la biosphère, la maison commune de l’humanité. Et ici encore, c’est l’homme occidental, en l’occurrence l’Europe et les États-Unis qui ont fait entrer le monde dans l’ère anthropocène, contribuant à la surexploitation des ressources et, à travers le réchauffement climatique, le conduisant au suicide collectif de l’humanité.

Fossé Nord-Sud et destruction de la biosphère sont indissociables. Car sauver la planète exige la coopération et le développement durable des pays pauvres. Il est en effet essentiel qu’ils optent pour un modèle de rattrapage différent du nôtre que nous cherchons à corriger. Négliger la dimension développementale et s’en tenir à des mesures environnementales défensives est impossible. À défaut, nous connaîtrons des migrations Sud-Nord massives et sauvages que nous n’arriverons pas à contrôler. Le monde et l’intérêt nous obligent à agir d’urgence et massivement.

Paradoxalement, au moment où le monde est plus interdépendant que jamais, il est à nouveau menacé d’un fractionnement de sa gouvernance, cette fois par l’affrontement sino-américain. On aurait tort d’y voir un simple remake de la guerre froide. La Chine, à la différence de la Russie, n’a en effet pas d’ambition impériale. Elle est davantage préoccupée de ses lignes d’approvisionnement et d’étendre son influence que de se constituer un empire. Seule compte en définitive pour Pékin la perpétuation de son régime léniniste de monopole du pouvoir pour le PCC. En revanche, à la différence de l’URSS, la Chine est en mesure d’atteindre la suprématie économique mondiale dans les vingt ans à venir. Sa capacité stratégique, “soft power” en moins, rejoindra tôt ou tard la puissance économique. Ce que les États-Unis n’admettront pas.

Mais comment expliquer qu’au moment où la maison brûle, les services de pompiers se mèneraient la guerre ? Comment imaginer que le reste du monde soit contraint de choisir entre le régime chinois et le modèle américain ?

Que fera l’Europe?

C’est ici que l’Europe a un joker à jouer ! En mettant tout son poids dans la construction d’une gouvernance mondiale dont, avec la Chine et les États-Unis, et malgré leur différend, elle pourrait prétendre à jouer une part active dans le pilotage d’un G3 bien plus représentatif que le G7 actuel.

Mais que fera l’Europe ? Poursuivra-t-elle sur le sentier de dépendance atlantique choisi par l’UE et confirmé à chaque élargissement ? À l’abri du bouclier stratégique américain, elle s’accommode aujourd’hui du recul technologique, notamment dans le numérique ; elle subit le ” privilège du dollar” ; elle se fait dicter par Washington le régime fiscal des multinationales, et se laisse gagner par une américanisation de l’organisation, de la pensée, de la culture et du divertissement. L’Europe renonce à se construire sur la civilisation qu’elle a bâtie au fil des siècles. Elle se prive ainsi du ressort spirituel de son progrès vers l’unité. D’aucuns persistent à penser que l’unité économique conduit immanquablement vers l’unité politique : illusion et propagande ! Certes, il faut pousser plus avant l’extension du marché intérieur et donner une gouvernance robuste, élargie à l’impôt et à l’emprunt, à une eurozone étendue aux frontières de l’UE-27. Il faut surtout passer de l’Europe du marché à l’Europe géopolitique disposant de sa propre vision d’une autonomie stratégique effective et d’une capacité propre de dissuasion.

Si elle veut garder l’estime de ses citoyens, l’Europe doit se donner les moyens de stabiliser elle-même son voisinage (Turquie, Russie, Moyen-Orient) car l’Amérique de plus en plus sollicitée par les tensions en Asie, se fera, de plus en plus, une puissance Pacifique. Bien entendu, il ne s’agit pas pour l’Europe de se retirer de l’Otan démultiplicateur de sa propre capacité militaire. Mais confier à un européen le commandement des 27 armées nationales, aujourd’hui sous les ordres d’un général américain, établirait avec le Maison Blanche un rapport nouveau de pouvoir : l’armée européenne constitue le levier le plus puissant d’influence sur les États-Unis. En même temps, l’Europe gagnerait en crédibilité vis-à-vis de la Chine et d’autres grands États continentaux dont les jeux tactiques vis-à-vis des 27 “divide et impera” auront ainsi fait leur temps. Cette Europe régénérée retrouverait les moyens et le sens de sa responsabilité géopolitique. Mieux que la Chine et l’Amérique, elle propose au monde une forme de gouvernance multilatérale fondée sur les principes moraux de justice et de soutenabilité et sur des rapports de droit.

En fait, l’Europe découvre sa nouvelle vocation, celle qui est susceptible d’éveiller la confiance et la fierté de ses citoyens, ferments d’une conscience européenne fondée sur une communauté de destin, ou plus exactement d’une communauté d’espérance face au dérèglement du monde. Certes, l’Europe est divisée (Visegrád illibéral, “États radins”, paradis fiscaux, tandem franco-allemand en tension). Elle est de surcroît bloquée par le poids excessif donné aux micro-États et par le mécanisme du droit de veto. Mais la conférence sur le Futur de l’Europe, inaugurée le 9 mai à Strasbourg, peut donner aux citoyens européens une perspective de la tâche historique de l’Europe. Le combat des idées est central. L’idée-force de la responsabilité géopolitique de l’Europe doit faire son chemin dans le débat politique.

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