When Can We Go to the United States?

<--

Quand pourra-t-on aller aux États-Unis ?

Notre puissant voisin américain réclame une réouverture de la frontière le plus vite possible, mais les autorités de santé publique et la population du Canada sont beaucoup moins pressées. Un beau dilemme pour le gouvernement Trudeau.

Le 21 juin, pas moins de quatre ministres fédéraux majeurs ont convoqué la presse pour annoncer les prochains allégements des restrictions sur les voyages aux États-Unis. Les ministres de la Santé, de la Sécurité publique, de l’Immigration et des Affaires intergouvernementales se sont tous relayés au micro.

Mais ils n’avaient à peu près rien à dire.

Au-delà des assouplissements qui avaient déjà été largement télégraphiés — notamment la possibilité pour les Canadiens pleinement vaccinés d’éviter l’isolement de 14 jours à leur retour de l’étranger —, les ministres sont délibérément restés avares de détails. Les journalistes ont tous répété la même question dans une formulation différente : quels critères clairs guideront le plan de réouverture, et comment seront-ils évalués ? À aucun moment de la conférence de presse n’y a-t-il eu le moindre semblant d’une réponse directe.

Et c’est dans ce manque de clarté frappant qu’une simple réalité est devenue encore plus limpide : dans le dossier frontalier, le gouvernement canadien est coincé.

Pression du sud

La pandémie de COVID–19 a été vécue de façon particulière aux États-Unis. Plutôt que de servir à resserrer l’unité nationale, elle a mis en relief les profondes divisions culturelles, politiques et sociales qui déchirent le pays. Du port du masque à la fermeture des écoles, la réponse s’est ancrée dans le tribalisme. Pendant la majeure partie de l’an dernier, les opposants aux mesures sanitaires étaient disproportionnellement des partisans de Donald Trump.

Pour le gouvernement Trudeau, cela rendait l’opposition à ces mesures, incluant la fermeture de la frontière, plus facile à gérer politiquement : la contestation venait des « trumpistes », pourfendeurs de la science.

Or, la donne a depuis considérablement changé. D’un océan à l’autre, dans les États les plus démocrates tout comme dans les plus républicains, la quasi-totalité des restrictions sont tombées. Pour bon nombre de partisans de hockey d’ici, il y a eu une sorte de choc devant l’aréna des Golden Knights de Las Vegas bondé, sans distanciation ni masque. Le Nevada, un État de l’Ouest américain ayant voté pour Joe Biden en novembre dernier, a vu son gouverneur démocrate abroger toutes les mesures liées à la COVID au début du mois. L’État ne faisait que suivre la tendance nationale américaine.

Au sujet de la fermeture de la frontière avec le Canada, un large consensus a également émergé aux États-Unis : elle a assez duré.

Dans les jours suivant l’annonce du gouvernement canadien de prolonger jusqu’au 21 juillet la fermeture de la frontière terrestre avec les États-Unis, deux élus démocrates de premier plan de l’État de New York — le plus important État voisin du Canada — sont sortis pour fustiger publiquement la décision.

Le représentant Brian Higgins, défenseur de la première heure des relations canado-américaines, l’a carrément qualifiée de « foutaise » (« bullshit »). Le sénateur Chuck Schumer, leader de la majorité au Sénat, a abondé dans le même sens, évoquant une « grave erreur ». Des 100 sénateurs à Washington, il est le plus puissant.

Dans un communiqué publié dans les heures suivant le point de presse des ministres canadiens, Schumer a interpellé directement l’ambassadrice du Canada aux États-Unis, dans le but de pondre conjointement un plan de réouverture concret sans plus tarder. Il se dit « stupéfait que les New-Yorkais puissent voyager librement en Europe, mais que même ceux pleinement vaccinés ne puissent pas franchir quelques kilomètres pour retrouver leurs maisons, leurs entreprises et leurs familles ». Il dit également s’inquiéter des répercussions négatives sur le tourisme engendrées par la fermeture frontalière prolongée.

Et il s’agit seulement des commentaires faits en public.

S’ajoutent à cela les voix de plus en plus d’élus canadiens représentant des communautés frontalières, qui sentent eux-mêmes la pression venant du sud.

Pression de l’interne

En même temps, une pression en sens inverse s’exerce sur le cabinet Trudeau : celle venant de l’interne. Il y a d’abord la position de l’appareil gouvernemental canadien, qui maintient, depuis le début de la pandémie, la ligne dure. Encore le mois dernier, l’Agence de la santé publique du Canada préconisait un minimum de 75 % de la population ayant reçu au moins une dose de vaccin et 20 % en ayant eu une seconde pour commencer à permettre de « petits rassemblements à l’extérieur ». À aucun moment n’a-t-elle même évoqué des paramètres pour la réouverture de la frontière.

À quelques exceptions près, les gouvernements provinciaux ont gardé, même en annonçant des plans de déconfinement au cours des dernières semaines, un ensemble de mesures restrictives — port du masque obligatoire, limites pour les rassemblements intérieurs et extérieurs — qui n’ont pratiquement plus d’équivalents aux États-Unis. D’un simple point de vue perceptif, rouvrir la frontière alors que l’on gère le sens de la circulation dans les allées des supermarchés et que l’on empêche les gens de chanter dans les bars semble pour le moins difficile à imaginer. La réouverture, on s’en doute, se trouve à la fin de la ligne.

Puis, de façon plus large, il y a la pression la plus fondamentale qui soit pour un gouvernement : celle venant de la population. Et, si l’on en croit le plus récent sondage Léger, un constat de base s’impose : les citoyens canadiens se montrent majoritairement moins qu’enthousiastes à l’idée d’une réouverture complète de la frontière à court terme.

Ainsi, début juin, près de 80 % des Américains souhaitaient que les voyages puissent reprendre entre les deux pays. Contre 40 % des Canadiens. Les premiers mois de la crise, marqués par la gestion chaotique de l’ex-président américain Donald Trump ainsi que par l’attitude générale de plusieurs autorités américaines vues comme étant plus « cavalières » face au virus, ont laissé des traces évidentes dans l’opinion publique canadienne. Et celle-ci affiche des signes immanquables de malaise à l’idée de rouvrir subitement les valves.

Ne pas s’attacher

Dans ce contexte, que peut donc faire le gouvernement canadien ? Pris entre l’arbre et l’écorce, il vise une chose d’abord et avant tout : ne pas se peinturer dans le coin. Prendre le moins d’engagements fixes possible, de façon à garder le maximum de marge de manœuvre dans une dynamique où toute position ferme pourrait frustrer des acteurs dont on veut conserver les appuis.

Cette situation est, bien évidemment, intenable. Les ministres du cabinet Trudeau, de leur propre aveu, devront tôt ou tard ressortir pour fournir davantage d’informations et de précisions — et cela risque de ne pas tarder.

D’ici là, un mot d’ordre règne : motus et bouche cousue.

About this publication