L’Atlantique Nord vient d’organiser ses retrouvailles, Joe Biden voulait que la Chine en soit le fil rouge, elle n’en aura été que le filigrane.
Si la doctrine chinoise de l’administration américaine n’est pas encore stabilisée, si la politique de l’Union européenne (UE) envers la Chine évolue en attendant une nouvelle position officielle, la série de Sommets des jours derniers, du G7 au Sommet UE/Etats-Unis en passant par celui de l’OTAN, a servi de galop d’essai à une conversation de fond… mais qui n’a peut-être rencontré qu’une convergence de formes, avec a minima des choix de réglages différents quant au style voire à la suite concrète de la coopération avec la Chine. Là où Joe Biden a voulu imposer un agenda ferme face à la Chine, Emmanuel Macron, notamment, a chaque fois apporté la nuance lors de ces sommets, nuances que plusieurs personnalités européennes en Allemagne et en Italie ont depuis converti en déclarations de continuité et d’autonomie stratégique Européenne.
Revue de détail d’un débat qui cristallise mais ne se structure pas
Il est clair qu’en invitant des pays « Indo-Pacifiques » (Inde, Australie, Corée du Sud, Afrique du Sud), dans un club économique regroupant, à part le Japon, des pays de l’Atlantique Nord et l’UE, la présidence Britannique du G7 a voulu non seulement préfigurer un glissement politique préfigurant le « D10 » des démocraties, projet de rassemblement cher à Boris Johnson, mais également faire place à la volonté américaine de discuter sa position sur la Chine. L’OTAN, bâti sur la réponse à la menace soviétique et aujourd’hui russe, concerné depuis quelques années par son membre turc, a subitement évoqué les ambitions chinoises, et les Etats-Unis ont enfoncé le clou dans leur discussion avec l’UE, sur fond de mobilisation de la question des droits de l’homme au service de la rivalité systémique portant en réalité sur la course technologie.
Le G7 était largement annoncé et a ainsi été commenté dans la presse comme un G7 de « retrouvailles » (là où Trump évoquait une UE « rivale ») mais aussi de G7 « face à la Chine ». Pourtant le communiqué final est prudent ; sur 27 pages la Chine n’a que trois occurrences – contre 15 pour l’Afrique dans son ensemble plus 5 pour des pays africains spécifiques -, se limitant à mentionner un point d’attention sur des sujets déjà connus – Hong Kong, Xinjiang, la mer de Chine méridionale, Taiwan – sans apporter ni sanction ni rappeler des sanctions déjà en cours.
Une évolution notable concerne la mention d’enfreinte aux droits de l’homme là où la Commission avait jusqu’à présent évoqué plutôt le ‘travail forcé’, par exemple lors de l’accord de principe sur un traité d’investissement UE-Chine, mort-né depuis ; en ce sens la Commission s’est au G7 alignée sur la position du Parlement européen sur ce dossier. Mais ses dirigeants sont nuancé : lors de sa déclaration en fin de sommet, Emmanuel Macron a souhaité pour l’UE une posture: « ni vassalisation à la Chine, ni alignement avec les États-Unis sur sa position sur ce sujet ».
Une alliance sans la Chine montrerait très vite ses limites
Paris, mais l’Allemagne également, veulent maintenir ouverts leurs propres canaux diplomatiques avec Beijing et ne pas dépendre de ceux de Washington. Cette approche recoupe celle très pragmatique de la Fondation « Open Society » pourtant très pro-américaine et critique face à la Chine de George Soros. Son moteur est de défendre et exporter la démocratie, mais sa directrice rappelait il y a quelques jours lors d’une intervention de l’Institut Aspen que « l’Europe ne veut pas être une balle entre les deux puissances. Il faut relever les challenges mondiaux avec la Chine, car si elle n’est pas à la table, aucune solution durable ne saurait être efficace. Une alliance des démocraties sans la Chine montrerait très vite ses limites. On ne peut tenir la Chine à l’écart des discussions : même sans être à la table des négociations, elle sera toujours présente, par son poids et son influence, quand il s’agit de questions internationales sur des enjeux d’avenir. L’UE doit endosser un rôle de modérateur ouvert à la discussion, puisqu’elle a des liens ancrés avec la Chine et que ses relations ne ressemblent en rien à la logique de rivalité qui s’opère avec les États-Unis ».
L’Élysée semble aligné sur la méthode, rappelant avec l’Allemagne le souci d’autonomie stratégique de l’Europe, là où le président Macron a fait part de son refus d’un « alignement automatique sur Washington, en particulier dans l’affrontement avec Pékin ». Il veut « que nos partenaires reconnaissent cette nouvelle donne européenne et que nous sachions bâtir un nouveau partenariat avec les Etats-Unis, (…) que nous puissions avoir aussi notre voie, communauté de valeurs mais indépendance quand il s’agit de notre stratégie à l’égard de la Chine ». Il a évoqué une Europe « qui a besoin de construire le cadre de son autonomie stratégique, en matière économique, industrielle, technologique, de valeur militaire ».
La Chine n’est pas notre ennemi (OTAN)
Ce dernier aspect a notamment été évoqué lors du Sommet de l’OTAN, en l’absence des invités indo-pacifiques du G7, région où la France a d’ailleurs sa propre doctrine militaire, et bâtit en ce moment sa déclinaison économique. Les évolutions stratégiques de l’OTAN, qui prépare depuis un an sa nouvelle doctrine, sont claires. Là où la Russie occupait le plus de place dans le débat, là où l’Organisation se dote d’une vision et d’outils sur la cybersécurité, la Chine a fait irruption ouverte dans le débat interne depuis l’élection de Biden.
Mais là encore la position de Macron diffère cependant légèrement de celle de Biden : si ce dernier a obtenu que « le défi sécuritaire posé par la Chine » figure dans la déclaration bien que la France n’y ait pas été favorable, le président français a appelé à « ne pas confondre les objectifs » : « L’OTAN est une organisation militaire, le sujet de notre rapport à la Chine n’est pas que militaire. L’Otan est une organisation (…) qui concerne l’Atlantique nord, la Chine a peu à voir avec l’Atlantique nord », a-t-il dit lors d’une conférence de presse. « Et donc je pense qu’il est très important de ne pas nous disperser et de ne pas biaiser le rapport à la Chine » . De son côté, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a soutenu que « la Chine n’est pas notre adversaire, notre ennemi ».
Dans le communiqué officiel du Sommet, on peut lire : « Les ambitions déclarées de la Chine et son comportement déterminé représentent des défis systémiques pour l’ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l’importance pour la sécurité de l’Alliance ». Mais sans préciser. À quelles ambitions internationales fait-on allusion ? Dans son implication croissante à l’ONU représentant son rôle croissant dans le monde mais aussi portant ses modèles ? Revendications territoriales en Mer de Chine ? La Belt and Road Initiative ?
Tout n’est pas équivalent et il conviendrait de préciser pour a minima tracer des frontières claires de dissensus, de conversation diplomatique et de coopération, car même les chancelleries s’y perdent. Clarification nécessaire également parce qu’elle est la condition à l’apport de solutions concrètes, et crédibles pour les pays du sud récipiendaires visés par les réponses aux aspects économiques de la projection chinoise, ceux-ci étant pour le moins circonspects par des déclarations de relance du G20, d’appui monétaire par la conférence FMI-UE-Afrique du 18 mai 2021 à Paris. Seuls 80 milliards ont été promis au G7 aux entreprises africaines, dans un contexte où ce continent tarde à voir les 100 milliards annuels promis par le Nord pour le financement de la lutte contre le changement climatique, c’est peu face aux trilliards déjà décaissés par la BRI.
Pression américaine sur les entreprises européennes
Mais c’est le sommet UE-USA qui est rentré dans le vif du sujet : la technologie et la souveraineté liée à celle-ci, et il n’est pas sûr que, malgré le retrait d’extravagances trumpiennes sur les taxes à l’aéronautique, la confiance européenne soit au rendez-vous, ni d’ailleurs que la réalisation de l’enjeu d’une coordination sur ce thème ne soit majoritairement acquise en Europe.
Un point clé du sommet est la création d’un Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis (TTC) de haut niveau UE-États-Unis, forum destiné à coordonner leurs approches des principales questions commerciales, économiques et technologiques au niveau mondial « sur la base de valeurs démocratiques partagées et à approfondir les échanges » est-il précisé. Le point peut surprendre alors qu’il y a peu la mondialisation était fondée sur la libéralisation plutôt que la coordination, sur le commerce plutôt que sur la technologie et l’investissement, mais nous sommes bien dans un monde post-émergence chinoise et, pour n’être à ce stade qu’imprécis, il est en effet structurant pour l’avenir : c’est bien une compétition appuyée par les États sur la frontière technologique qui se dessine. La coordination technologique est centrale, le choix explicite ici est que la coordination doit se faire sur la base de la démocratie ; et donc implicitement pas avec les régimes autoritaires.
Cette approche au niveau des États laisse pour autant deux questions non tranchées : outre que certains États européens pourraient de bon droit considérer que, par exemple sur les technologies environnementales, la lutte contre le changement climatique peut passer par des coopérations étatiques avec la Chine, l’approche américaine concerne-t-elle les entreprises elles-mêmes, technologiques, qui voudraient avoir des partenariats ? L’industrie européenne n’entend à ce stade pas s’en priver, et il n’est pas clair pour elles que leurs homologues américaines suivent l’injonction ; les acteurs attestent tous en revanche de la formidable pression américaine sur les entreprises européennes en ce sens. De manière plus générale, le sommet UE/Etats-Unis se termine aussi au milieu du gué sur les enjeux de taxe carbone aux frontières ou de prix du carbone, donc sur les conditions structurantes de la transformation durable de l’économie européenne.
Aucun cheval de Troie
Que conclure de cette séquence et de cette observation que des pays, des acteurs, veulent continuer de discuter séquentiellement et sujet par sujet avec la Chine… et d’ailleurs aussi avec les Etats-Unis ? Il y aura d’autres sommets et deux points d’observation émergent :
– D’abord, que l’Atlantique Nord ne s’est pas complètement retrouvé et que l’hypothèse que la politique d’alliance alignée, si tant est qu’elle ait jamais complètement existé, pourrait ne pas revenir. Une partie de l’Europe souhaite avancer sur l’autonomie stratégique, les acteurs industriels et économiques se sont habitués à la libéralisation même si tous sont conscients de la nécessité d’une certaine méthode dans les échanges technologiques… qu’ils regardent à l’est ou à l’ouest d’ailleurs. L’Europe ne veut d’aucun cheval de Troie, ni chinois ni américain, c’est peut-être là la leçon à tirer de la faillite de l’accord sur l’investissement avec la Chine comme du succès en demi-teinte des propositions américaines, dans ses réflexions sur la technologie et ce d’autant que, d’un secteur l’autre, elle est parfois en avance et se veut un pouvoir de norme technique.
– Il faudra sans doute qu’une méthode de discussion se fasse jour ; l’avenir proche dira si les Etats-Unis peuvent mener de front un partenariat climatique avec la Chine et une rivalité ouverte technologique incluant donc les technologies vertes ; c’est peu probable et une voie raisonnable peut consister à clairement énoncer pour les matières stratégiques, les composants, les programmes technologiques, la liste des intérêts stratégiques précis, à un niveau de granularité fine, un peu comme il y a une nomenclature du détail des biens et services échangés dans le commerce international. Il est certain que les États progressent sur ces listes, qu’elles soient publiques ou pas, mais dans ce cas la portée de déclarations générales dans des sommets est plus ambiguë qu’elle n’apporte de voies de progrès. En lien à ce point, le rôle des négociations multi-latérales, patientes, parfois laborieuses, techniques, mais qui aussi forcent aussi à une certaine retenu du propos, n’est pas à sous-estimer.
La Chine est entrée sur la carte de l’OTAN
Mais les Etats-Unis de Joe Biden avancent progressivement ; une nouvelle démarche vers les Alliés est amorcée et bénéficiera d’un retour d’analyse, l’Europe a des nouveaux éléments pour se doter ou pas une définition précise d’un périmètre de son autonomie stratégique et des outils et leur financement mais déjà Armin Laschet, qui fait figure de favori à la succession d’Angela Merkel vient d’indiquer que la Chine est « autant un partenaire qu’un rival stratégique », se défiant explicitement d’une guerre froide poussée par l’Amérique, suggérant que cette position sceptique est largement répandue en Europe ; l’Italie, qui cette année préside le G20, quant à elle, vient par la voix de son ministre des affaires étrangères d’annoncer sa volonté d’accélérer sa coopération avec la Belt and Road Initiative chinoise sur l’énergie, la coopération en pays tiers, l’industrie, alors même qu’elle a adhéré au « contre-projet » formulé par le G7. L’Indo-Pacifique attend des gages que ni Obama ni Trump n’avaient su donner, tandis que l’Afrique est circonspecte, la Chine sans doute observer et analyse.
Il y a tout un logiciel de la mondialisation non pas seulement à réparer post-Trump, mais à redéfinir en actant l’évolution du monde sur la période ; ce sont là des éléments de l’affinage de la doctrine Blinken, dont on voit bien qu’elle sera dimensionnante, mais pas alignante. Une chose est sûre, la Chine est explicitement entrée sur la carte de l’Atlantique Nord.
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