« Ils sont des milliers à attendre » : aux USA, Biden face au casse-tête des migrants
Les premiers pas de Joe Biden en matière de politique migratoire lui valent des critiques : les républicains l’accusent de laxisme, la gauche démocrate de manquer de générosité. Si le nouveau président américain s’épargne les outrances racistes de son prédécesseur, la situation évolue peu sur la frontière avec le Mexique.
Le geste est furtif, précis, efficace, comme s’il avait été répété. Une fine échelle de fortune crochète le haut du mur. 30 secondes. C’est le temps qu’il faut aux deux jeunes hommes pour grimper les 5 mètres de lattes de métal brun chauffées par le soleil avant de se laisser glisser de l’autre côté. « Ils sont entre le premier et le deuxième mur maintenant. Plus au Mexique, mais pas encore vraiment aux États-Unis, observe à distance, derrière ses lunettes de soleil, Pedro Rios, directeur d’une ONG d’aide aux migrants. «Ils vont sûrement aller trouver une autre échelle un peu plus loin dans un endroit moins en vue, ajoute-t-il, alors que les deux « resquilleurs », capuche sur la tête, s’éloignent en rasant le deuxième mur.
C’est un dimanche après-midi comme les autres, le long de la double barrière métallique qui marque la frontière entre la ville de San Ysidro, aux États-Unis et Tijuana, sa « jumelle » mexicaine. Murs toujours plus hauts, barbelés toujours plus tranchants, patrouilles toujours plus nombreuses. Si l’agglomération de San-Diego, à l’extrême-sud de la Californie, ne connaît plus l’afflux de migrants des années 1990 et 2000, elle voit un regain de tentatives de franchissement clandestins depuis un an. Un an et quatre mois précisément, date de la fermeture aux voyages « non essentiels » du port d’entrée de San Ysidro, par où 150 000 personnes circulaient quotidiennement d’un pays à l’autre avant la pandémie de Covid-19.
Autour de Pedro Rios, ils sont une cinquantaine d’activistes, pancartes autour du cou, à s’être donnés rendez-vous le long de la frontière pour une marche silencieuse dénonçant la politique migratoire américaine. Première, deuxième, troisième génération, tous ici ont de la famille côté mexicain. Ce qui a été décidé sous Donald Trump est encore appliqué par la nouvelle administration, déplore Pedro Rios. L’administration Trump avait exhumé, l’an passé, un article du code de Santé publique qui permet de fermer les frontières et d’expulser les migrants mexicains interpellés dans le pays – du fait d’un accord avec Mexico –, sans autre forme de procès. Ce règlement vient d’être à nouveau prorogé, jusqu’au 21 juillet, par l’administration Biden, qui a expulsé plus de migrants depuis janvier que Trump sur toute l’année 2020.
Conséquence ? Une accumulation de candidats à l’immigration, qui campent du côté mexicain de la frontière. Ils sont encore des milliers à attendre dans des abris de fortune à Tijuana pour pouvoir déposer une demande d’asile, précise Pedro Rios.
10,5 à 12 millions de sans-papiers aux États-Unis
Abaissé à 15 000 par Donald Trump, le nombre d’immigrants admis aux États-Unis a été relevé à 65 000 par son successeur à la Maison-Blanche – loin des 200 000 promis par le candidat Joe Biden pendant sa campagne. Déçu, Pedro Rios l’est, mais surpris pas vraiment, à l’instar de l’aile gauche du parti démocrate. La question migratoire a gagné en visibilité avec Trump, qui avait fait son fond de commerce de la tolérance zéro, explique l’activiste. Mais le problème remonte aux années 1980 et aucun gouvernement n’a su le régler.D’après la Brookings Institution, un organisme de recherche, il y aurait aux États-Unis entre 10,5 et 12 millions de sans-papiers.
Symbole de ces difficultés : les « dreamers » (rêveurs) ou « enfants Daca », du nom du statut mis en place par Barack Obama en 2012. Il permet aux personnes arrivées aux États-Unis illégalement avant l’âge de 16 ans de rester dans le pays et d’y travailler, mais pas de le quitter, sous peine de se voir refuser l’entrée à leur retour. Selene Gutierrez est du lot. Elle a 37 ans, dont 32 passés aux États-Unis. Une partie de sa famille a été expulsée vers le Mexique en 2009. Je n’ai pas vu ma sœur depuis 12 ans », dit-elle.
Depuis 2012, ils sont quelque 825 000 à avoir bénéficié de ce statut. Le sénateur démocrate au Sénat Richard Durbin a présenté en avril un projet de loi bipartisan qui ouvrirait le statut Daca à plus d’1,9 million de résidents et leur permettrait, sous certaines conditions, d’acquérir de plein droit la citoyenneté américaine. Pour Selene, cela signifierait aller au Mexique et voir sa sœur. C’est tout ce que je souhaite. À chaque changement de président, j’espère qu’on sera autre chose qu’une carte politique à jouer, j’attends de voir. Kamala Harris, la vice-présidente en charge du dossier, n’a apporté aucun élément nouveau vendredi lors de sa première visite de la frontière.
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