L’histoire américaine mal enseignée
Comme historien et professeur d’histoire, j’ai parfois été consulté lors de l’élaboration de manuels ou de cours. À chaque occasion, on pouvait sentir l’influence de certains courants idéologiques à la mode ou, pire mais plus rare, la récupération politique.
Si certains pièges sont ainsi tendus, ils ne sont jamais aussi nombreux que lorsqu’il est question de développer un cours d’histoire nationale. Pourquoi souhaite-t-on offrir ce cours? Quels en sont les objectifs précis? Quels seront les thèmes privilégiés et le temps qu’on leur consacrera?
Comme l’historien ne vit pas hors de son temps, il est sensible aux préoccupations de ses concitoyens ou aux événements liés à l’actualité. Il lui faut bien sûr faire montre de rigueur, mais aussi de sensibilité et d’ouverture. Généralement, il sera soucieux d’offrir un survol complet de l’histoire en s’inspirant des études les plus récentes.
Les manuels de 2021 ne ressemblent pas à ceux des années 1960 et c’est bien ainsi. Nous avons intégré de nouveaux champs d’étude et considéré de nouvelles approches, enrichissant ainsi les contenus. Malgré cela, il faut être prudent et demeurer aux aguets.
Dans l’ensemble, je crois que le Québec offre un enseignement de l’histoire de qualité. Selon une étude récente, ce ne serait pas le cas dans plusieurs États américains. Si on s’en remet aux données recueillies par le Thomas B. Fordham Institute (organisation considérée comme conservatrice), plus de la moitié des États offriraient aux jeunes Américains un enseignement de l’histoire médiocre ou inadéquat.
Ces statistiques sont alarmantes, encore plus si on considère la polarisation politique aux États-Unis ainsi que l’omniprésence de la désinformation. Plus que jamais les jeunes doivent bénéficier d’un enseignement de grande qualité et on doit les outiller correctement pour qu’ils soient en mesure de distinguer une information valable d’une autre qui ne l’est pas. Pour se nourrir intellectuellement et affronter le 21e siècle, il faut acquérir de très nombreuses connaissances, ce que nous fournit le web de plus en plus rapidement, mais il faut d’abord trier les sources.
Selon les chiffres avancés par Fordham, il n’y aurait que six États où on dispense une formation exemplaire en histoire. C’est indéniablement trop peu.
Pour ces six États performants, on en retrouve 33 dont on évalue la performance comme étant médiocre ou inadéquate. Oui, c’est affligeant et inquiétant. Voici quelques-uns de ces cancres de la formation en histoire selon l’institut.
Parmi les critères retenus pour évaluer la qualité de l’enseignement de l’histoire, on a retenu principalement les thèmes présentés aux élèves, l’approche privilégiée, le type d’activités et le temps consacré à l’étude des thèmes.
En survolant l’ensemble des résultats, j’ai noté que les meilleurs États de cette liste se distinguent essentiellement parce qu’ils semblent éviter la récupération politique. Ça peut paraître simpliste, mais on y enseigne toute l’histoire.
Oui, je crois que l’enseignement de l’histoire aux États-Unis est une des victimes de ce qu’on qualifie de «guerre des cultures», la «culture war». D’un côté, des États réécrivent l’histoire en la déformant au gré des revendications les plus progressistes ou wokes. Plutôt que d’intégrer des correctifs ou d’ajouter des thèmes jadis ignorés, on retire des éléments du programme pour ne retenir que ce qui préoccupe en 2021. On peut juger que l’intention de départ est honnête, mais le résultat induit en erreur.
De l’autre, il y a les multiples tentatives de faire un contrepoids aux tendances actuelles. On censure et on interdit tout ce qui pourrait entraîner une remise en question de la grandeur de l’État ou du pays. Il ne faudrait quand même pas modifier l’hagiographie des fondateurs ou des personnages importants. Au diable la nuance ou la vérité, la propagande et le patriotisme exacerbé ne sauraient souffrir une part d’ombre.
Tout en constatant les piètres résultats de l’étude, une question de mes étudiants me revenait constamment en tête. Ils se demandent souvent si les jeunes Américains connaissent mieux leur histoire que nous connaissons la nôtre. Chaque fois, je dois prendre une pause avant d’offrir une tentative de réponse.
Je crois que dans l’ensemble de son cheminement, un jeune américain étudiera plus son histoire nationale que ne le fait un jeune québécois. Par contre, le jeune québécois aura doit à un meilleur enseignement que son voisin américain.
Pour répondre adéquatement à mes étudiants, je devrais me livre à une comparaison entre nos programmes et ceux des 50 États. Je ne crois cependant pas me tromper en affirmant que malgré quelques erreurs de parcours et des lacunes encore présentes, nos jeunes sont initiés tôt à ce qu’est l’histoire dans toute sa complexité et ses nuances. C’est un avantage certain quand on pense aux trop nombreux jeunes américains à qui on offre une vision tronquée ou un exercice de propagande.
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