Le 14 juin dernier, le président américain Joe Biden a ordonné le retrait définitif de ses troupes d’Afghanistan, après 20 ans d’une guerre douloureuse. Ce conflit se solde par la défaite des États-Unis qui ont échoué à importer la démocratie, estime l’essayiste Hadrien Desuin.
Spécialiste des questions internationales et de défense, Hadrien Desuin est essayiste. Il a publié La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (éd. du Cerf, 2017).
Depuis que Joe Biden a confirmé le 14 juin dernier à ses alliés de l’OTAN, le retrait définitif et complet de ses troupes d’Afghanistan, Kaboul est entrée en ébullition. Si l’armée française a plié bagage dès la fin 2012, c’est désormais sauve-qui-peut pour l’alliance atlantique. Certes, le gouvernement afghan et son armée pourront peut-être tenir encore quelques mois et entretenir la fiction d’un État souverain mais l’issue est désormais connue: Kaboul va tomber et les Talibans sont de retour.
Comment, ces derniers jours, ne pas songer aux terribles images de l’ambassade américaine à Saïgon en 1975 avec cet hélicoptère tournoyant au-dessus des derniers rescapés de la guerre du Vietnam? Déjà de nouvelles colonnes de migrants se dirigent, toujours plus nombreuses, via l’Iran et vers la Turquie, avant d’arriver à nos portes. Pour les derniers apôtres de la démocratisation par les armes, il faut se rendre à l’évidence et ne pas détourner le regard. La guerre d’Afghanistan se termine en cuisante défaite.
Pour se venger de l’affront du 11 septembre 2001, l’armée américaine aura tout essayé. Tout d’abord, le plus simple, les bombardements des camps d’Al Qaïda, (ce qui aurait bien suffi). Et puis ce furent l’occupation, la reconstruction, la démocratisation à marche forcée d’une société islamiste et archaïque et pour finir la contre-insurrection et ses grandes illusions. Au bout de vingt ans et plus de mille milliards de dollars déversés en poussière dans les montagnes pachtounes, il a fallu se résoudre à ouvrir les yeux: la majorité des Afghans ne veulent pas d’une démocratie d’importation, sous perfusion du Pentagone. Le bilan est très lourd: autant de soldats occidentaux ont été tués ou blessés dans cette guerre de 20 ans que de victimes pendant les attentats du 11 septembre. Et les talibans triomphent; Ben Laden et ses successeurs ont malheureusement réussi leur funeste pari. En provoquant l’Amérique sur son sol, ils sont parvenus à l’attirer dans une guerre à domicile, pour mieux le frapper et l’humilier à plusieurs milliers de kilomètres de chez lui.
Quarante ans après l’intervention de Moscou, Washington est tombé dans le piège afghan qu’il avait tendu à son rival soviétique. On notera cependant que l’armée rouge n’y est restée que huit ans, moitié moins que l’armée américaine. Il est tentant de tirer des conclusions rapides. Hier la chute de l’empire soviétique, aujourd’hui la fin de l’hégémonie américaine? Ne mélangeons pas tout.
Joseph Biden et Antony Blinken ont pris devant leurs électeurs cette décision douloureuse. Peut-on les blâmer de tenir leur engagement? Certainement pas. Nixon et Kissinger avaient en leur temps fait le choix autrement plus pénible de sortir du Vietnam et d’endosser la défaite de leurs prédécesseurs. A posteriori, la fin de la guerre au Vietnam a permis aux États-Unis de se concentrer sur les vrais enjeux de la guerre froide et de consolider leur modèle.
Pourquoi, en effet, s’entêter à construire une démocratie afghane en apesanteur et y fixer des troupes tandis que la Chine continue tranquillement sa montée en puissance? En sortant douloureusement du bourbier afghan, l’Amérique se redonne une marge de manœuvre. Les images sont cruelles, la décision est humiliante pour les Afghans qui ont cru à la mission américaine. Mais acter la défaite en Afghanistan est le meilleur service que Joe Biden pouvait rendre à sa patrie.
Hélas, le chaos afghan est loin d’être terminé. Et c’est en Europe que la déflagration migratoire et islamiste sera la plus violente. Faute d’avoir suivi et parfois encouragé nos partenaires américains dans l’illusion d’une croisade pour la démocratie, notre continent est maintenant exposé à solder le repli stratégique des États-Unis.
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