Il y a quelques jours, l’équipe de Cleveland de la Ligue majeure de baseball a annoncé son changement de nom. Comme pour les équipes masculines de sports de l’université McGill, avant qu’elles ne soient renommées les Redbirds, le nom de l’équipe de Cleveland était discriminatoire et offensant. Diverses communautés autochtones le disaient depuis des lunes.
L’acteur Tom Hanks choisit toujours des rôles qui font de lui le héros du film et il se tient loin des controverses. Il n’est donc pas surprenant que rares soient les gens qui ne l’aiment pas. Quel coup de génie alors de l’avoir utilisé pour narrer la featurette diffusée sur les réseaux sociaux, introduisant la nouvelle identité de l’équipe de baseball. En deux minutes, Hanks explique – de manière romantique et efficace – que le temps était venu pour la ville et pour le club de baseball d’aller de l’avant de manière unifiée. Il a tenu la main des partisans pour amorcer, avec eux, cet important virage culturel.
Au revoir, les Indians. Mesdames et messieurs, dites bonjour aux Guardians de Cleveland ! Pour en venir à ce nom, les dirigeants de l’équipe ont mené 140 heures d’interviews, ont examiné plus de 1000 options et ils ont sondé près de 40 000 fans. Malgré tout, la nouvelle identité ne fait pas l’unanimité. Il suffit d’un simple coup d’œil aux commentaires en ligne pour le confirmer. Les patrons de l’équipe avaient certainement anticipé ce mécontentement et pour mieux faire passer le message, ils ont misé sur un parfait messager – Tom Hanks. Les Guardians ont gagné leur pari. Les insatisfaits, comme Donald Trump, sont bruyants mais minoritaires.
Loin des campagnes de communication bien planifiées, il existe à l’occasion des messagers insoupçonnés porteurs de leçons oubliées.
Parce que même dans la tourmente, normalement, the show must go on, l’annulation des spectacles sur Broadway en mars 2020 avait cristallisé la gravité de la pandémie. La reprise le 26 juin dernier de Springsteen On Broadway, le spectacle de The Boss, était le premier de retour dans ce quartier des spectacles et le parfait coup d’envoi. De surcroît, il fut le symbole d’une certaine normalité retrouvée et signe que la COVID-19 avait été en partie domptée.
Mais aussitôt ce retour de Springsteen sur les planches annoncé, la grogne. Les règles d’admission étaient strictes. Seules les personnes ayant reçu les vaccins de Pfizer, de Moderna ou de Johnson & Johnson seraient admises, laissant ainsi celles piquées à l’AstraZeneca sur le carreau. Ces dernières – du moins celles qui sont fans de Springsteen – étaient furieuses et elles avaient raison de l’être. J’ai vu ce spectacle sur Broadway. C’est une expérience absolument unique qui vaut les irresponsabilités fiscales et acrobaties nécessaires qu’il faut pour obtenir des billets.
À travers son œuvre, Bruce Springsteen a toujours été un militant. Pour les cols bleus et pour les vétérans de la guerre. Contre l’apartheid et la brutalité policière. Une valeur sûre du Parti démocrate et un habitué de leurs conventions, Springsteen est un peu comme Tom Hanks – presque tout le monde l’aime, même les républicains. Un tour de force en ces temps de grande polarisation.
Alors comment Bruce Springsteen, ce justicier, a-t-il pu cautionner un traitement si inéquitable de ses admirateurs ? Pour nombre de fans au Canada et au Royaume-Uni, où l’AstraZeneca était un des vaccins approuvés, il s’agissait d’une première expérience d’exclusion.
Un premier revers basé sur une discrimination et une injustice. Un tout nouveau genre de frustration. Une qui les rongeait, sachant qu’ils avaient respecté les règles et que, malgré cela, ils étaient mis à l’écart parce qu’ils ne faisaient pas partie d’un groupe acceptable et accepté. Indirectement, il s’agissait là d’une leçon – pour ceux d’entre eux qui n’avaient pas encore compris – que les soulèvements sociaux de l’année dernière étaient contre tout ça.
Quelques jours après l’annonce d’interdiction d’accès à ceux qui avaient reçu le vaccin d’AstraZeneca, la compagnie de production a revu et changé sa position, permettant ainsi l’accès aux vaccinés auparavant ostracisés.
Dans sa chanson Lost In The Flood de l’album Greetings from Asbury Park sorti en 1973, Springsteen évoque les réalités brutales auxquelles sont confrontés ceux qui reviennent de la guerre du Vietnam. C’est un thème qu’il reprendra 10 ans plus tard, dans Born In The U. S. A. De ce même album, dans la chanson My Hometown, ce raconteur par excellence peint en chanson une Amérique atrophiée par les tensions raciales et l’effondrement économique. Puis viendront des incontournables commeThe Ghost Of Tom Joad, dans les années 1990, sur le sort des désavantagés et American Skin (41 shots), dans les années 2000, sur la mort du jeune Amadou Diallo, tué par des policiers de New York qui seront plus tard acquittés du meurtre. Chaque album de Bruce Springsteen, depuis ses débuts, est une quasi boussole morale.
Et voilà Springsteen en 2021, tout aussi au parfum du jour et encore une conscience sociale, mais sans le biais d’une nouvelle chanson et peut-être malgré lui.
Springsteen On Broadway est un concert intime. C’est Bruce et 953 personnes, à qui il chante et parle comme s’ils étaient tous autour d’un feu. Entre l’enchaînement de classiques, pendant les deux heures et quelques poussières que dure le concert, Springsteen reprend – comme il le fait tout au long de la soirée – une des phrases de son autobiographie, Born To Run : « Les gens ne viennent pas à des concerts rock pour apprendre des leçons. Ils viennent pour se rappeler de choses qu’ils savaient déjà et qu’ils ressentent dans le plus profond de leur âme. C’est à ce moment-là que le monde est à son meilleur, quand nous sommes à notre meilleur… » Comme souvent tout au long de sa carrière, Bruce Springsteen a raison. C’est pour cela que nous sommes si nombreux à tant l’aimer.
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