#FreeBritney: A Question of Individual Rights

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J’avais 10 ans quand le tout premier vidéoclip de Britney Spears, Baby One More Time, est apparu à la télévision. Préado, j’étais pile dans la génération ciblée par l’apogée de la pop bonbon et des girls et boys bands, à la fin des années 1990. Britney Spears, Christina Aguilera, les Spice Girls, les Backstreet Boys, NSYNC. Un écosystème qui portait l’étiquette de « musique de filles ». La musique de filles, c’est de la mauvaise musique, de la musique qu’on aime tout en ayant honte de l’aimer. De la musique où, par ailleurs, la virginité des chanteuses est aussi importante que leurs performances artistiques.

J’avais 13 ans, en 2002, quand l’ex-copain de Britney, Justin Timberlake, s’est vengé d’elle en parlant de leur sexualité en public et en la vilipendant dans son single à succès, Cry Me a River. Il était alors tout à fait de bon ton de dénigrer la chanteuse, de la traîner dans la boue. L’industrie de la musique et les magazines pour ados m’avaient déjà expliqué à maintes reprises que la sexualité des filles célèbres, il était tout à fait normal d’en faire une obsession et un objet de dérision. Le traitement médiatique de Britney Spears est probablement l’exemple le plus emblématique de ce poison sucré de misogynie internalisée que la pop culture injectait dans nos os de jeunes filles encore en pleine croissance, dans les années 2000. Comme le veut le refrain : I love what you do, don’t you know that you’re toxic…

Lorsque l’habitude du mépris est profondément ancrée, il faut du temps, et bien souvent un choc, pour jeter sur la star et son époque un regard critique. Aujourd’hui, le mouvement #FreeBritney émerge au milieu d’une pandémie, et prétend être un mouvement pour les droits de la personne. Vraiment ? Oui, vraiment. Mais pour le voir pleinement, il faut s’être désintoxiqué.

Il faut avoir dénormalisé l’industrie des paparazzis qui sévissait à Hollywood avant l’avènement des médias sociaux, et dont l’omniprésence et la cruauté auraient pu faire craquer les plus solides d’entre nous. Quand les photos de Britney Spears, le crâne rasé, envoyant promener les photographes qui la traquaient à chaque instant de sa vie privée, ont fait le tour du monde, en 2007, le dialogue public sur la santé mentale et le respect de la vie privée des femmes n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. L’idée de mettre la star sous la tutelle légale de son père, James Spears, tant pour ses affaires financières que pour sa vie personnelle, n’a ainsi pas provoqué de questionnements majeurs en 2008, sinon un lot de curiosité malsaine.

On connaît aujourd’hui le résultat. James Spears a le pouvoir, depuis bientôt 13 ans, de surveiller et de dicter les moindres faits et gestes de sa fille. Il peut la forcer à manger ou à ne pas manger ceci ou cela, contrôler son accès à ses amis et à ses partenaires, imposer une médication ou quelque traitement médical, limiter ses communications avec le monde extérieur. Le père peut aussi forcer sa fille à travailler tout en profitant directement des profits de chaque tournée et spectacle qu’il impose. Sous le régime de tutelle, Britney est devenue, en quelque sorte, un guichet automatique sans fonds pour son père. Et bien sûr, la logique légale s’avère ici un cercle vicieux : plus le père abuse de sa fille, plus sa fille en souffre, plus les symptômes de cette souffrance peuvent être montrés par le père pour justifier la pertinence de reconduire la tutelle étouffante.

Ces détails, on les connaît parce que le mouvement #FreeBritney porté par ses fans a pris de l’ampleur et que le documentaire Framing Britney Spears du New York Times a fait boule de neige. Grâce à cette nouvelle pression du public, le dernier témoignage de la chanteuse devant les tribunaux a pu être rendu public, et elle a enfin obtenu le droit, pourtant élémentaire, de choisir son propre avocat dans son combat pour mettre fin à la tutelle tyrannique de son père.

Mais le mépris est décidément profondément ancré. Plusieurs ont encore le réflexe de penser qu’il s’agit certes d’une situation injuste pour la vedette, mais qu’on a mieux à faire, surtout cette année, que de se faire du mauvais sang pour le sort des riches. Là encore, on fait fausse route.

Des régimes de tutelle (et de curatelle), il en existe dans toutes les juridictions en Amérique du Nord, avec des spécificités et nuances d’application pour chaque État et province. Ils sont mis en place lorsqu’une personne est déclarée inapte, pour une raison ou une autre. L’intention de ces régimes est de protéger la personne sous tutelle d’elle-même. L’un des effets du système est nécessairement d’accorder beaucoup de pouvoir discrétionnaire à un ou à des individus sur la vie d’un autre. Dans plusieurs cas, le système atteint son but. Dans d’autres, le pouvoir mène à des abus qui peuvent être difficiles à dénoncer, particulièrement lorsque la personne sous tutelle a de la difficulté à communiquer, vu sa condition.

Le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (RAFHC) le répète depuis longtemps : les femmes et les filles handicapées sont particulièrement vulnérables à la violence, notamment aux abus de nature sexuelle, et ces abus sont perpétrés par les personnes qui ont la responsabilité de les soutenir. Comme l’expliquait la porte-parole du RAFHC, Karine-Myrgianie Jean-François, dans le dernier numéro spécial de la revue Droits et libertés, qui porte sur les droits et les handicaps, « le capacitisme, ça isole ». Cet isolement rend bien des personnes handicapées, et particulièrement les femmes, à risque de voir leur volonté, et donc leur dignité, complètement bafouée.

#FreeBritney représente donc bien plus qu’un mot-clic de soutien à une riche pop star malheureuse. Il s’agit d’une poussée de conscientisation sur l’intersection du capacitisme et de la misogynie, le danger qu’ils posent pour la santé et la sécurité des femmes, et le besoin de réviser en profondeur les mécanismes légaux qui visent certes à protéger, mais qui, dans certains cas, peuvent s’avérer plutôt sources de danger.

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