Americans Torn in Victory

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Depuis toujours, les Jeux olympiques étaient l’occasion pour les Américains de se rassembler sous leur drapeau. Ce n’est plus le cas.

C’est avec le triomphe in extremis de leur équipe féminine de volleyball, au dernier jour des Jeux olympiques de Tokyo, que les États-Unis sont parvenus à terminer au premier rang du tableau des médailles — à la fois pour le nombre de médailles d’or et pour le total de médailles. Dans le contexte géopolitique actuel, il y avait pour les Américains quelque chose de particulièrement remarquable dans le fait de coiffer la Chine, deuxième, par une marge… d’une médaille d’or.

On aurait pu être tenté de croire que, justement dans ces circonstances, l’heure serait à l’euphorie et aux célébrations nationales. Ce n’est pas du tout ce qui se produit.

Les athlètes politiques

Les prises de position politiques d’athlètes américains n’ont, bien sûr, rien de nouveau. L’histoire en regorge : de Muhammad Ali condamnant la guerre du Vietnam par son refus de la conscription aux joueurs des Suns de Phoenix arborant des chandails qui renomment l’équipe « Los Suns », en protestation contre une loi de l’État de l’Arizona contre l’immigration irrégulière. Parmi les gestes politiques les plus spectaculaires dans un cadre sportif, celui des champions d’athlétisme Tommie Smith et John Carlos aux Jeux de Mexico, en 1968, occupe une place sur le podium : ils avaient brandi le poing, symbole du « pouvoir noir », à la remise des médailles.

Mais ces événements demeurent isolés. L’ensemble des Américains, même dans les périodes plus troubles, restent derrière leur drapeau et leurs équipes. Le sport sert habituellement d’élément rassembleur culturel ; les Jeux olympiques, d’élément rassembleur national.

Mais les temps ont changé.

Les dernières années ayant mené aux Jeux de Tokyo ont été le théâtre d’une controverse après l’autre mêlant sport et politique : la saga des changements de nom d’équipes professionnelles, qu’il s’agisse des Redskins de Washington ou des Indians de Cleveland ; le refus des Mavericks de Dallas de faire jouer l’hymne national américain ; le genou au sol pendant ce dernier d’athlètes de la NFL, à commencer par l’ex-quart-arrière Colin Kaepernick ; les propos de Donald Trump, alors à sa première année à la Maison-Blanche, traitant Kaepernick et ses acolytes de « fils de pute » ; le refus subséquent d’équipes entières de visiter la Maison-Blanche après avoir remporté un championnat, comme le veut la tradition ; et ainsi de suite.

En d’autres termes, le monde du sport de haut niveau est devenu, aux États-Unis, profondément politisé.

Les Jeux n’y échappent pas

Cela fait que même la gymnaste Simone Biles, et son retrait volontaire de la compétition pour des raisons de santé mentale qui n’avaient rien à la base de politique, provoque des réactions partisanes passionnées partout. Certains des plus importants fidèles de Trump l’ont traitée de « sociopathe égoïste » ; certains des plus importants critiques de Trump ont tout aussi rapidement couru à la défense de l’athlète.

Elle était devenue un symbole : manquant de patriotisme d’un côté, femme et minorité ethnique ayant fait valoir ses droits de l’autre. Dans les faits, personne parmi ces gens ne connaissait personnellement Simone Biles.

La polarisation politique est exacerbée lorsqu’il s’agit d’athlètes engagés, notamment Megan Rapinoe, co-capitaine de l’équipe féminine de soccer, qui avait entre autres refusé de visiter la Maison-Blanche de Donald Trump après le triomphe des États-Unis à la Coupe du monde de 2019. L’ancien président n’a pas attendu la fin des Jeux de Tokyo pour rendre la pareille à Rapinoe, publiant un communiqué officiel de sa résidence de Mar-a-Lago, après la défaite de l’équipe américaine en demi-finale, dans lequel il la narguait en disant que « la femme aux cheveux mauves [avait] joué de façon lamentable ».

Au final, bon nombre de partisans de l’ex-président nationaliste ont trouvé du réconfort dans la défaite… de l’équipe nationale.

Si cela peut avoir des airs de monde à l’envers, il s’agit peut-être de la suite logique d’un phénomène social beaucoup plus large que les olympiades : l’effritement d’une culture commune aux États-Unis. Les Jeux de Tokyo n’en sont que la plus récente et la plus frappante illustration.

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