Andrew Cuomo et l’arrogance du pouvoir
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Guy TailleferGuy Taillefer
13 août 2021
ÉDITORIAL
Éditoriaux
Andrew Cuomo tombe de haut. Lâché par l’ensemble de ses alliés démocrates, y compris Joe Biden, et menacé de destitution, le gouverneur de l’État de New York a démissionné mardi, armé d’une défense classique, niant s’être rendu coupable de harcèlement sexuel tout en présentant ses « profondes excuses » aux femmes qui se sont « senties offensées » par ses gestes.
Vrai qu’il y a « une différence entre des allégations d’agissements inappropriés et le fait de conclure qu’il y a eu harcèlement sexuel », mais en affirmant, pour justifier sa démission, que le gouvernement de l’État n’a pas à « gaspiller de l’énergie en distractions », il témoigne d’une fieffée insensibilité aux débats de société sur l’égalité et les relations de pouvoir.
Distractions ? L’accablant rapport publié la semaine dernière par le bureau du procureur de l’État, basé sur 175 témoignages et des milliers de documents, non seulement démontre — avec force détails — comment M. Cuomo a harcelé 11 femmes, il met aussi en évidence le climat de travail caractérisé par l’intimidation et les représailles qu’il a cultivé du haut de sa toute-puissance. Doté d’une personnalité « contrôlante », comme il le dit lui-même, l’homme était gouverneur depuis 10 ans. Beaucoup se demandent aujourd’hui comment il se fait que ce climat de travail toxique n’ait pas été mis au jour plus tôt. Il se sera perpétué grâce à l’hypocrisie et à des silences complices, forcément. Et c’est dire qu’il en a fallu, du courage, à ces femmes, pour cesser de se taire et tenir tête à l’arrogance avec laquelle il tenait les rênes du pouvoir.
Il se sera aussi perpétué parce que M. Cuomo est un politicien astucieux et efficace, un démocrate modéré qui avait l’oreille de l’opinion new-yorkaise, jusqu’à ce qu’il la perde à cause de cette affaire. Sa crédibilité, entretenue sur CNN par la vedette qu’est son frère Chris, aura aussi commencé à choir dans la foulée du scandale, fin 2020, des décès dissimulés dans les résidences pour aînés de l’État, sur lesquels le FBI enquête toujours.
Jusque-là, M. Cuomo avait été porté aux nues pour son leadership dans la gestion de la crise pandémique, par salutaire opposition à Donald Trump. Si politiquement et médiatiquement performant était-il que beaucoup, l’année dernière, voulaient même le voir se lancer dans la campagne à la présidence, quand la course de Joe Biden à l’investiture démocrate peinait à décoller. Ou, du moins, le voyait-on aisément en route vers un quatrième mandat comme gouverneur. Il était l’antithèse de Trump ; il l’est nettement moins dans le contexte actuel — encore qu’il mérite d’être souligné que, dans l’évolution des mentalités, les démocrates sont autrement plus exigeants à l’égard de leurs leaders que ne le sont les républicains.
Voici en tout cas un Andrew Cuomo qui, prétextant mardi avoir commis l’erreur de ne pas prendre la mesure des « changements générationnels » (« J’ai été trop familier avec les gens »), est en contradiction nette avec l’image de progressisme dont il a enveloppé sa vie publique. Champion féministe autoproclamé — par intérêt politique, finalement — pour avoir pris fait et cause pour le mouvement #MeToo et avoir légiféré contre le harcèlement et la violence sexuels. Champion progressiste pour avoir contribué à légaliser le mariage gai, avoir relevé (trop) progressivement le salaire minimum à 15 $ l’heure et avoir instauré un système de congés parentaux payés.
Ce qui n’est pas rien, bien que, selon ses détracteurs, il s’agisse en fait d’un progressisme en trompe-l’œil, tant M. Cuomo a mis du temps à céder aux pressions sociales avant d’accepter d’appliquer ces mesures. Et tant il a par ailleurs, année après année, défendu une politique d’austérité, promouvant des coupes en éducation et à Medicaid, le régime public d’assurance maladie destiné aux personnes défavorisées. Quand, donc, l’Assemblée législative de l’État est redevenue majoritairement démocrate en 2018 après l’élection de jeunes députés campés à gauche, les relations de M. Cuomo n’ont pas tardé à devenir ouvertement conflictuelles.
« J’ai une personnalité contrôlante, écrit-il dans le livre autopromotionnel (American Crisis) qu’il a publié sur sa gestion de la crise sanitaire. Mais montrez-moi quelqu’un qui ne l’est pas et je vous montrerai quelqu’un qui n’a probablement pas beaucoup de succès. » Faux.
En l’occurrence, le succès tient plutôt au fait que cette conception de l’exercice du pouvoir a été mise en échec. Par un hasard utile, c’est une femme, la lieutenante-gouverneure Kathy Hochul, qui prend le relais de M. Cuomo jusqu’aux élections de 2022. Une femme qui a qualifié le comportement du gouverneur de « répugnant et illégal ». Au reste, un certain contre-exemple à cette approche autoritariste habite depuis janvier la Maison-Blanche.
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