Les Américains se soucient peu du monde extérieur, même lorsqu’ils sont en cause. L’Afghanistan pourrait être une exception.
Un consensus domine depuis au moins le milieu du XXe siècle : les citoyens américains portent relativement peu d’attention aux enjeux internationaux. Par conséquent, ces derniers tendent à avoir une incidence plutôt mineure sur la politique intérieure américaine. Certes, les deux guerres mondiales ou, beaucoup plus récemment, l’invasion de l’Irak ont occupé une place centrale dans le débat public, mais cela reste de l’ordre de l’exception.
Aussi tragique que soit la catastrophe humanitaire et géopolitique qui se déroule en Afghanistan depuis le retour des talibans au pouvoir, même appuyée par ces images d’Afghans s’accrochant aux avions américains décollant de Kaboul, elle demeure lointaine pour bon nombre d’Américains.
Alors, quelle pourrait être l’incidence politique de cette débandade militaire pour le commandant en chef, Joe Biden ? Avant le début du retrait des troupes américaines à Kaboul, une majorité nette des électeurs appuyaient déjà le président sur cette question. Et même en plein cœur de la déroute de l’armée et du gouvernement de l’Afghanistan, un Américain sur deux dit toujours soutenir le retrait du pays. C’est loin d’être marginal.
Puis, l’opinion publique américaine est si polarisée depuis les dernières années que les taux d’approbation des trois derniers présidents — Barack Obama, Donald Trump et Biden — n’ont que très peu bougé au cours de leurs mandats respectifs. Deux énormes blocs de partisans démocrates et républicains ont déjà largement rendu leur verdict par rapport à Biden, comme ils l’avaient fait, à l’inverse, pour Trump.
Autrement dit, si Biden ne peut sans doute pas espérer des gains importants auprès de l’électorat républicain même lorsque les choses vont bien, il peut toujours espérer maintenir l’appui du noyau dur de l’électorat démocrate. Cela assure une certaine stabilité, même en période de crise.
Cette stabilité n’est pas entièrement immuable non plus. Dans le cas de l’Afghanistan, le risque premier pour Biden est que l’ampleur de la catastrophe soit telle que la question sorte du simple cadre des « affaires étrangères » — et en devienne une de perception plus générale d’incompétence présidentielle.
Même si les trois présidents précédents s’étaient également cassé les dents sur ce dossier impossible, et que Trump avait autorisé le départ des soldats américains avant son propre départ de la Maison-Blanche, Biden demeure aujourd’hui le responsable principal aux yeux du public. Au final, c’est lui qui doit se défendre d’avoir ignoré les conseils de ses commandants militaires qui l’imploraient de ne pas retirer les États-Unis de la sorte, et d’avoir ordonné le retrait des troupes avant même d’avoir évacué le personnel américain.
Biden n’a pas eu à se défendre beaucoup jusqu’ici. D’abord comme candidat présidentiel, il a passé les huit mois précédant l’élection confiné dans son sous-sol, préférant (judicieusement) laisser le président sortant se battre lui-même. En fonction, il a attendu près de deux mois avant de tenir une première conférence de presse — du jamais-vu pour un président américain en un siècle.
Puis, dans la semaine où l’Afghanistan est retombé sous l’emprise des talibans, le président a passé la moitié de son temps en vacances à Camp David ; il a pris trois jours seulement pour parler en public, en lisant son télésouffleur… et n’a pas répondu à une seule question d’un reporter.
Cela n’a fait qu’alimenter la grogne des médias majeurs, qui, pour la première fois, réellement, depuis les primaires démocrates de 2020, talonnent Biden et son administration sans relâche.
Lorsqu’il a finalement répondu mercredi aux questions de l’animateur d’ABC George Stephanopoulos, le président a affirmé que rien n’aurait pu être géré autrement… alors qu’il assurait publiquement il y a à peine un mois qu’on ne verrait jamais de scénario comme celui observé au cours des derniers jours.
Pour la toute première fois de sa présidence, le taux d’approbation moyen de Biden est maintenant sous la barre des 50 %.
Peut-être que ce retrait de l’Afghanistan fera aussi partie des exceptions.
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