No, the Defeat in Afghanistan Is Not Bitter

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Le désengagement des Occidentaux n’entérine pas l’appauvrissement de leur capacité de réaction aux changements géopolitiques. Ils resteront pratiquement les seuls au monde à intervenir pour porter assistance à des peuples en danger.

D’aucuns voient dans la reprise du pouvoir par les talibans un tournant géopolitique : “Il s’agit d’abord d’une défaite stratégique cinglante pour les États-Unis et leurs alliés de l’Otan, avec des implications à long terme pour leur crédibilité et leur capacité à agir ailleurs”, estime la politiste Alexandra de Hoop Scheffer dans une tribune parue dans le quotidien Le Monde du 24 août 2021.

Le retrait américain d’Afghanistan est une défaite, c’est évident. Mais elle n’est pas cinglante : le retrait avait été annoncé, et négocié, de longs mois à l’avance. Il s’agissait de mettre fin à une guerre ingagnable et d’arrêter l’hémorragie humaine (2 400 soldats américains tués et plus de 20 000 blessés…) et financière (l’Amérique a dépensé plus de 2 000 milliards de dollars en Afghanistan depuis 2001, dont plus de 83 milliards pour la formation de l’armée afghane).

Une salutaire catharsis

Le désengagement américain signifie une défaite stratégique et un gâchis gigantesque en ressources humaines et financières (1). Ce choc et le constat amer d’une longue chronique d’erreurs stratégiques provoquent une salutaire catharsis qui va probablement engendrer une refondation de la réflexion stratégique des Occidentaux lorsqu’il sera à nouveau question d’interventionnisme politico-militaire où que ce soit dans le monde.

Il s’agit notamment de repenser les principes de l’engagement et du désengagement militaires, de comprendre enfin que toute intervention ne peut être purement militaire et apolitique (l’enjeu principal est toujours politique pour les pays secourus) et, pour les alliés de l’Otan, il s’agit de ne plus bâtir leur politique étrangère en comptant indéfiniment sur les moyens américains.

S’inspirer des Chinois et des Russes ?

On ne doit plus secourir et reconstruire des États dont les institutions sont en déliquescence chronique, sans au préalable avoir rigoureusement recensé les allégeances communautaires prédominantes et effectué un diagnostic poussé des divisions internes (notamment celles des forces de sécurité du pays assisté).

Sans sens des réalités du terrain, le sentimentalisme humanitaire et pro-démocratie des Occidentaux finira toujours par créer le chaos et des catastrophes humanitaires lorsque le moment de se retirer se fera sentir. Les Occidentaux feraient bien de s’inspirer un tant soit peu du froid pragmatisme des puissances chinoise et russe lorsqu’il s’agit d’assurer une stabilité régionale.

Cette défaite stratégique américaine en Afghanistan n’aura probablement pas d’implications graves à long terme pour la crédibilité des États-Unis et leur capacité à agir ailleurs. Heureusement d’ailleurs ; puisque les États-Unis sont la première (et la plus puissante) force d’intervention occidentale.

Et puis, en dehors du fardeau de la seule sécurité internationale, les Occidentaux sont pratiquement les seuls au monde à intervenir pour porter assistance à des peuples en danger (populations victimes de systèmes politiques qui les maltraitent), les seuls à porter assistance aux peuples qui se battent pour la défense de la démocratie, et du droit des femmes…

Peu importe s’ils le font mal ou maladroitement (pendant vingt ans, les États-Unis et leurs alliés ont tenté différentes stratégies pour défaire les talibans), c’est l’intention et l’action qui comptent. Leur intention est bonne, en outre, ce sont les seuls à agir ! Imaginez-vous les puissances chinoise, russe, turque, iranienne, pakistanaise porter assistance à des populations réclamant plus de démocratie ?

Après Pearl Harbour ou Dunkerque

À ceux qui adorent lancer des pierres sur les États-Unis, feriez-vous vraiment le pari que le retrait d’Afghanistan est une atteinte irrémédiable à leur crédibilité et à leur capacité d’agir ailleurs ? Sachant comment ils ont su réagir après Pearl Harbour en 1941 (défaite stratégique cinglante pour la flotte US du Pacifique) et la débâcle monumentale et l’humiliation totale de la première campagne des Philippines (batailles de Bataan [1941] et de Corregidor [1942] : déroute de l’armée US et fuite, in extremis, de son commandant en chef, le général McArthur)…

De même, leur meilleur allié de l’Otan, le Royaume-Uni, a-t-il perdu sa crédibilité et sa capacité à agir ailleurs après la défaite cinglante de la campagne de France, la débâcle du corps expéditionnaire anglais en France et en Norvège et ses retraits de Narvik et de Dunkerque (1940) ?

Les ennemis d’alors pensaient crânement que les carottes étaient cuites pour les Alliés qui se retiraient des champs de bataille la queue entre les jambes. Pourtant, les échecs répétitifs n’ont jamais réussi à entraver ni leur volonté ni leur capacité, d’agir.

Aujourd’hui, le simili plan Marshall destiné à la reconstruction de l’Afghanistan a montré que les Occidentaux, surtout les Américains, ont les moyens de leur volonté d’agir.

Agir, se tromper, rectifier, improviser

Assumer pleinement le caractère politique de toute assistance (il ne peut y avoir de neutralité lorsqu’on met en péril la vie de ses jeunes soldats) et afficher clairement les objectifs réels de toute intervention politico-militaire (éradication des groupes terroristes, reconstruction, stabilisation, démocratisation, formation des forces de sécurité…) permettront d’effacer le paradoxe entre la volonté de retirer les troupes le plus rapidement possible et la nécessité d’une présence pérenne des forces militaires, que laissent présager des objectifs ambitieux (application du concept de nation-building).

En somme, assumer le fait que a) le caractère transitoire d’une intervention est la plupart du temps une véritable chimère, et b) la réalité que toute aide (militaire, humanitaire, alimentaire, médicale, financière) est toujours une atrophie de l’espace politique du pays assisté.

Dans le cadre de la politique de “guerre globale contre le terrorisme” : agir, se tromper, rectifier, improviser, adapter, dominer, se replier, sont bien la preuve du dynamisme de la créativité stratégique et diplomatique et de la capacité des Occidentaux à réagir aux changements géopolitiques.

(1) Si ces 2 000 milliards de dollars avaient été investis dans la rénovation de la sécurité sociale des États-Unis, toute la population américaine disposerait aujourd’hui d’une assurance santé et d’une couverture médicale et dentaire aussi élaborée et généralisée que les Européens.

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