What Decline of the US Are We Talking about?

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Des djihadistes revigorés, la Chine et la Russie qui triomphent. La retraite d’Afghanistan signe-t-elle la fin de la domination des Etats-Unis? Notre chroniqueur livre une autre lecture possible des choix de Joe Biden

Le départ des troupes américaines d’Afghanistan va galvaniser tous les mouvements djihadistes à travers le monde, prédisent des élus républicains du Congrès. A quand un prochain 11-Septembre? «Le signal a été donné à la Chine et à la Russie que les Etats-Unis battent en retraite. S’ils reculent en Afghanistan, ils pourront le faire ailleurs», prophétisait cette semaine sur les ondes de la RTS l’historien britannique Niall Ferguson. Taïwan, l’Ukraine et les pays baltes peuvent trembler. Avec Joe Biden, les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient, le déclin serait acté.

Il est vrai que des groupes islamistes ont célébré le retrait américain de Kaboul. Il est tout aussi certain que les protégés des Etats-Unis doivent s’interroger sur l’appui de Washington à l’avenir. Et on ne peut nier qu’une page d’histoire se tourne en Afghanistan ces jours-ci, avec des conséquences mondiales. Mais on peut aussi faire une lecture bien différente de ce tournant et de ses implications pour la puissance américaine.

L’OTAN reste incontournable

Il y a quelques jours, un diplomate sud-coréen questionné sur le départ d’Afghanistan de l’allié américain et ses conséquences pour la sécurité de son pays répondait: «Je ne pense pas que cela avantagera la Chine. Je crois au contraire que cela va permettre aux Etats-Unis de renforcer leurs alliances dans le Pacifique.» Les ministres européens de la Défense s’interrogeaient cette semaine sur la nécessité de la création d’urgence d’une force de réaction continentale. Pour aussitôt constater qu’on en est encore très loin. L’OTAN reste incontournable.

Voilà cinquante ans que l’on annonce la «fin de l’empire américain». On le fit après l’échec du Vietnam, après l’humiliation en Iran, après le 11 septembre 2001, après l’enlisement en Irak, après la crise des subprimes, après le renoncement à intervenir en Syrie, après l’assaut du Capitole. Les Américains eux-mêmes ne cessent de jouer à se faire peur. Et les principaux concurrents des Etats-Unis proclament régulièrement la fin de leur domination.

Mais de quelle domination parle-t-on? S’agit-il de la prétention à jouer les gendarmes du monde? Celle-ci est morte en 2003 dans les sables irakiens. L’hubris des néo-conservateurs n’aura duré tout au plus qu’une décennie après la chute de l’empire soviétique. Les Etats-Unis ont tourné cette page-là en 2008, avec l’élection de Barack Obama. Washington n’affirme plus vouloir redessiner le monde à son image. Les tenants des changements de régime par la force militaire se sont tus.

Cap sur Taïwan

S’il tourne une page en Afghanistan, Joe Biden s’en tient à la doctrine Obama. Les Etats-Unis n’ont pas vocation à dominer l’univers mais à défendre leurs «intérêts vitaux» dans un monde multipolaire où leur puissance demeure la plus importante. Ce monde est en réalité de plus en plus bipolaire, avec l’avènement d’une Chine défiant l’ordre libéral façonné par l’Occident après la Deuxième Guerre mondiale. La priorité géopolitique des Etats-Unis ne se situe plus au Proche-Orient, mais dans le Pacifique. Et lorsque son président, justifiant le retrait afghan, insiste sur l’importance des alliés, il évoque non pas Israël ou l’Arabie saoudite (comme aurait pu le faire Donald Trump), mais les pays de l’OTAN, la Corée du Sud, le Japon et… Taïwan. Taïwan, l’île qui sera de plus en plus au cœur du bras de fer sino-américain.

Vu sous cet angle, la retraite chaotique d’Afghanistan apparaît un peu moins comme l’abandon irréfléchi d’un protectorat qui assurait une profondeur stratégique en Asie centrale que comme le redéploiement avisé des forces américaines pour mieux affronter les défis de demain. C’est du moins le pari de Joe Biden.

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