L’intérêt des Américains pour l’élection canadienne a un nom : Trudeau
Adoré par les démocrates, méprisé par les républicains, Justin Trudeau représente l’un des rares sujets qui peuvent amener nos voisins du Sud à s’intéresser à ce qui se passe chez nous.
Rafael Jacob
2 septembre 2021
La politique américaine intéresse les Canadiens. Les années Trump y sont bien sûr pour quelque chose, mais il y avait déjà, des années avant l’arrivée du 45e président, des indices laissant croire que les Canadiens ressentaient plus d’engouement pour la scène politique de leurs voisins que pour la leur.
Cet aspect de la relation canado-américaine est, comme tant d’autres, asymétrique : les Américains ne se sont jamais beaucoup attardés à la politique canadienne. Au tournant du XXIe siècle, au moment où les gouvernements des deux pays ne s’entendaient pas au sujet de la possibilité d’envahir (ou non) l’Irak, la maison Gallup a demandé aux Américains de nommer le premier ministre du Canada (Jean Chrétien). À peine 2 % d’entre eux connaissaient la réponse.
Or, les choses ont changé. Et bien que la campagne fédérale canadienne ne soit pas source de grande excitation au sud de la frontière (les mauvaises langues diraient qu’elle ne l’est pas non plus au nord…), elle ne passe pas entièrement inaperçue non plus.
Peu de temps après l’élection de Trudeau, les médias américains ont commencé à lui porter un intérêt particulier. Remarquant les affinités naturelles entre le nouveau venu et le président alors en fonction, Barack Obama, ils ont pu établir des comparaisons faciles entre les deux hommes politiques.
Puis, un an après l’arrivée au pouvoir de Trudeau au Canada, Donald Trump créait la stupéfaction en remportant la Maison-Blanche, alors que le Parti républicain conservait ses majorités dans les deux chambres du Congrès. Du jour au lendemain, bon nombre de sympathisants démocrates se trouvaient non seulement dévastés, mais déboussolés, sans leader.
Dans ce contexte, pour beaucoup d’entre eux, le premier ministre du pays voisin est devenu un symbole culturel. Il représentait, en pratiquement tout point visible, un contraste frappant avec le nouveau président.
Pendant cette période se sont succédé des profils dans les médias majeurs et même des couvertures de magazines américains, y compris celle de Rolling Stone — un traitement qui aurait normalement été réservé à une vedette… américaine.
Dans les faits, Justin Trudeau était devenu une sorte de vedette : un symbole cosmopolite et multiculturaliste, vert et féministe, pro-immigrants et pro-réfugiés. La gauche culturelle américaine s’était trouvé une source d’inspiration… même si celle-ci était canadienne.
Dans la première année de Trump à la Maison-Blanche, l’institut Ipsos a sondé les Américains au sujet du premier ministre canadien. Non seulement la majorité des Américains affirmaient connaître Trudeau, mais 40 %, une pluralité constituée du noyau dur d’électeurs démocrates, disaient ouvertement préférer avoir Trudeau comme président que Trump.
… et outil de polarisation
Évidemment, puisque chaque action entraîne aussi une réaction, la montée stratosphérique de Trudeau auprès de l’intelligentsia démocrate américaine a fini par se faire sentir… du côté opposé du spectre politique américain.
C’est bien sûr avec la plus puissante personnalité républicaine — Trump lui-même — que les choses ont commencé à tourner au vinaigre, notamment après le fiasco diplomatique du sommet du G7 à Charlevoix en 2018.
Les critiques du camp républicain envers Trudeau se sont ensuite enchaînées, entre autres de la part de certaines des plus importantes têtes d’affiche du réseau Fox News. Sean Hannity s’en est notamment pris à Trudeau pour ses propos ayant laissé sous-entendre que la mort de Canadiens à bord de l’avion abattu par l’Iran en 2020 avait été causée par les tensions irano-américaines.
Puis, plus tôt cette année, Tucker Carlson, plus populaire animateur de la chaîne, a réservé un segment d’une dizaine de minutes à son émission pour s’en prendre à la politique du gouvernement Trudeau concernant la COVID–19, en comparant le premier ministre canadien… à Benito Mussolini.
Devant tout cela, les électeurs ne sont pas restés insensibles. Ainsi, si plus de 60 % des démocrates affirment avoir une vision « très chaleureuse » du Canada à l’ère Trudeau… c’est moins de 40 % des républicains qui en disent autant.
Dans un pays où la vaccination et les athlètes olympiques peuvent devenir des objets de polarisation politique… il semblerait que le Canada en soit devenu un à son tour.
Aux États-Unis, les médias ont déjà commencé à couvrir la campagne électorale canadienne et les sondeurs ont déjà commencé à diffuser les résultats de sondages. Et le 20 septembre venu, lorsque les Canadiens regarderont les résultats électoraux entrer, ils le feront sans penser que de nombreux Américains auront eux aussi hâte de savoir s’ils ont « gagné leurs élections ».
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