Editorial du « Monde ». Vingt ans plus tard, sonnés par leurs erreurs, les Etats-Unis se replient pour mieux se redéployer ensuite. Il leur faudra pour cela panser les plaies d’une société profondément divisée.
Editorial du « Monde ». Lorsque, le 11 septembre 2001, deux avions de ligne ont percuté les tours jumelles du World Trade Center, les Etats-Unis étaient au zénith de leur moment unipolaire. Auréolée de sa victoire de la guerre froide, de sa prospérité économique et de sa suprématie technologique après avoir lancé la révolution numérique, la puissance américaine paraissait solidement installée au faîte du monde.
Les attaques quasi simultanées menées ce matin-là par les terroristes d’Al-Qaida à New York et contre le Pentagone à Washington, qui ont coûté la vie à près de 3 000 personnes, tandis qu’un quatrième avion s’écrasait en Pennsylvanie, ont changé les Etats-Unis. La façon dont ils ont réagi a changé le monde.
Hubris et ignorance
Ebranlés par cette agression sans précédent sur leur sol depuis Pearl Harbor, unis dans une immense ferveur patriotique, les Américains s’en sont remis, presque aveuglément, à leurs dirigeants. Les voix dissonantes ont été inaudibles. Le président George W. Bush, sous l’influence d’idéologues néoconservateurs aux convictions messianiques, a lancé une « guerre globale contre la terreur » qui devait emmener son pays, militairement et politiquement, bien plus loin que la simple destruction de l’organisation responsable des attentats.
Deux objectifs ont été atteints : Al-Qaida n’a plus jamais commis d’attaques sur le sol américain et son chef, Oussama Ben Laden, a été tué au Pakistan par des commandos américains, au terme d’une traque de dix ans. Le reste est une accumulation d’erreurs de jugement, de mensonges d’Etat, d’opérations mal planifiées dans lesquels hubris et ignorance se sont parfois conjuguées. A de brèves offensives militaires réussies, comme les frappes contre les talibans en 2001 ou la marche sur Bagdad en mars 2003, ont succédé des occupations qui ont tourné au fiasco et fait des dizaines de milliers de morts.
Celle de l’Afghanistan vient de prendre fin piteusement avec le retour des talibans. Celle de l’Irak, décidée sous le faux prétexte de l’existence d’armes de destruction massive, a plongé le Moyen-Orient dans le chaos ; le monde en subit encore les conséquences. George W. Bush et son équipe portent une lourde responsabilité dans ces décisions ; ils furent pourtant réélus en 2004.
Un boxeur groggy
Tout aussi grave est le reniement des valeurs de l’Etat de droit considérées comme les fondations de la démocratie américaine. La mise en place d’un système extrajudiciaire pour lutter contre le terrorisme, le recours à des zones de non-droit comme les prisons secrètes de la CIA et le camp de Guantanamo – où sont encore enfermés quarante détenus –, la normalisation de la torture rebaptisée « interrogatoire renforcé » resteront une tache noire sur l’image des Etats-Unis. A l’intérieur, cette démocratie qui a enfanté Donald Trump s’est fissurée : spectaculairement unie en septembre 2001, la société américaine est aujourd’hui profondément divisée.
L’Amérique de Bush a voulu remodeler le monde par la force. Celle de Joe Biden veut rentrer chez elle. Vingt ans plus tard, la puissance américaine, affaiblie par ses erreurs et défiée par de nouveaux acteurs, se replie pour mieux se redéployer. Le moment unipolaire des Etats-Unis est passé, mais ils conservent la supériorité militaire, technologique et financière. Comme un boxeur groggy qui a pris trop de coups mais refuse d’abandonner la compétition, ils sortent du ring pour reprendre des forces. Il faut espérer que cette phase passe aussi par l’analyse des erreurs de ces vingt ans.
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