Les 20 ans d’un monde nouveau
Les États-Unis ont mis un terme à la guerre sans fin en Afghanistan juste à temps pour le 20e anniversaire des attentats du 11 Septembre dans les conditions de retrait bancales que l’on connaît. Les talibans paradent, intimident et tuent aujourd’hui les faibles lueurs de liberté qui subsistent à Kaboul avec des armes laissées derrière par les États-Unis.
En cette journée de commémoration, il est tentant de conclure que les talibans et feu Oussama ben Laden, commanditaire des attentats du 11 Septembre, ont gagné la guerre. Encore faut-il préciser de quel conflit il s’agit. La guerre contre l’Afghanistan, déclarée à la suite de l’ignoble attaque sur les tours jumelles du World Trade Center, le Pentagone et le Capitole (heureusement épargné), fut un immense succès dans la blessure nationale de l’immédiat. Pire attaque contre les États-Unis depuis Pearl Harbor, les attentats du 11 septembre 2001 ont fait près de 3000 morts, arrachant le pays et ses alliés à leur sentiment d’insularité face à la montée de l’islamisme radical.
Sous la puissance de frappe de l’armée américaine et de ses alliés canadiens et britanniques, le régime taliban s’effondra d’un claquement de doigts, ses principales têtes dirigeantes se réfugiant dans les zones tribales du Pakistan. Oussama ben Laden et les lieutenants d’al-Qaïda furent condamnés à l’errance permanente et traqués sans relâche.
Sur le long temps, ce sont les talibans, mais surtout leur allié de l’ombre, le Pakistan, qui ont fini par triompher sur le sol afghan. Ils ont pu compter sur l’indéfectible soutien des États-Unis. L’empressement du président George W. Bush à envahir l’Irak, prélude à la montée du groupe armé État islamique (EI), les efforts de reconstruction à la va-vite en Afghanistan, le détournement colossal de l’aide internationale au profit de chefs tribaux corrompus et du financement de l’insurrection talibane par le Pakistan ont scellé le sort d’une campagne militaire perdue.
Combien de fois faudra-t-il rappeler que l’interventionnisme militaire n’est pas un instrument efficace pour la reconstruction d’un État en faillite ? L’étincelle que la guerre en Afghanistan a provoquée pour un temps, au péril de milliers de vies humaines, a allumé un brasier qui brûle encore. Au cimetière des empires, il y a un nouveau fantôme aux côtés de ceux des puissances britannique et soviétique. Et des Afghans errants qui ont cru à la promesse des libertés civiles et de l’éducation, mais qui ne pouvaient pas savoir qu’une société civile construite de toutes pièces sous la protection militaire reste fragile et passible d’implosion lorsqu’abandonnée aux portes de l’insurrection.
Dans les mots de Bush fils, la guerre en Afghanistan fut d’abord une guerre contre la terreur, ce qui posait tout un défi. Comment lutter contre une idée ? Comment pouvait-on penser qu’une pluie de bombes feraient pousser des valeurs occidentales dans l’un des coins du monde les plus fermés et les plus hostiles à la modernité ? Il est difficile d’imaginer la mesure du succès dans une guerre contre la terreur. L’assassinat de Ben Laden dans son bunker d’Abbottabad, au Pakistan, en 2011, marqua cependant un jalon important.
Dans le Foreign Affairs, Nelly Lahoud fait une analyse fascinante des archives retrouvées dans le dernier refuge de Ben Laden. Il a changé le monde, mais pas comme il le pensait. Il croyait naïvement que les attentats du 11 Septembre ligueraient les citoyens des États-Unis contre l’occupation militaire dans les pays musulmans, avec des protestations de masse comme à l’époque de la guerre du Vietnam. L’idée d’une riposte militaire en Afghanistan ne lui avait pas effleuré l’esprit.
À la suite de la campagne afghane, al-Qaïda ne retrouva pas ses capacités de frapper les États-Unis. Le groupe en déroute n’arriva plus à coordonner ses communications internes, encore moins à préparer des attentats sophistiqués. Al-Qaïda devint l’équivalent d’une marque de commerce dont se revendiquèrent les groupes djihadistes à venir, sans que les figures dirigeantes du mouvement arrivent à exercer un leadership. À la faveur de l’invasion de l’Irak et de la guerre civile en Syrie, des groupes rivaux tels que l’EI émergèrent même en féroces concurrents idéologiques.
Les groupes terroristes se réclamant du djihad sont plus nombreux et plus morcelés qu’ils ne l’étaient avant le 11 Septembre. Leur capacité à mener des attaques meurtrières demeure préoccupante, notamment en Europe, mais dans l’échelle de la folie meurtrière, rien ne s’approche de la monstrueuse démesure des attentats du 11 Septembre.
C’est une bien mince victoire arrachée au prix de sacrifices humains incommensurables et d’un effritement des valeurs occidentales. La régression du multilatéralisme, la torture, la détention sans procès, la surveillance de masse, la suspicion à l’égard des citoyens de confession musulmane, le repli graduel de la droite américaine dans la xénophobie et le racisme : le 11 Septembre a marqué le début d’un monde nouveau.
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