Submarine Crisis: Our Leaders Would Have Done Well To Reread Talleyrand

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La diplomatie française est en échec depuis la signature à ses dépens d’un accord entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Guillaume Debré rappelle que cette alliance du monde anglo-saxon au détriment de la relation franco-américaine avait été prédite par Talleyrand.

Guillaume Debré est le chef du Pôle News à TF1. Il est l’auteur de L’Affaire La Fayette (éditions Robert Laffont).

À chaque visite d’État, qu’elle se déroule à Washington ou à Paris, les présidents français invoquent la mémoire des mêmes personnages historiques. Celle du général La Fayette, le «héros des deux mondes», du général Pershing s’exclamant en 1917 «La Fayette nous voilà !», ou encore celle des G.I débarquant en Normandie. Les plus érudits ajoutent le Comte de Vergennes, ce ministre qui persuada Louis XVI de soutenir la révolte des colonies américaines.

François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous repris ces références. En avril 2018, à la tribune du Congrès, Emmanuel Macron s’émerveillait même du «miracle de la relation entre les États-Unis et la France». Donald Trump était président à l’époque !

Et pourtant… Mercredi dernier, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont planté «un coup dans le dos» à la France, selon l’expression de Jean-Yves Le Drian.

Mais cette «trahison» est-elle vraiment une surprise ? Tous auraient été avisés de relire les écrits de Talleyrand.

De 1794 à 1796, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord passe trente mois en exil en Amérique. Il en retire une conviction : malgré les liens qui unissent ces deux nations, malgré la dette morale de la guerre d’indépendance, la France et les États-Unis ne pourront jamais former qu’une alliance de circonstance. L’allié naturel de l’Amérique restera toujours le Royaume-Uni.

La proximité culturelle et linguistique, la dépendance commerciale et financière, l’éthique protestante partagée par les deux peuples, l’obsession de la responsabilité individuelle donneront toujours à l’axe anglo-saxon une force contre laquelle la France ne pourra jamais rivaliser, affirme Talleyrand.

À son retour en France, nommé membre de l’Institut, Talleyrand rédige un mémoire sur les États-Unis et l’Angleterre qu’il présente le 4 avril 1797 et dans lequel il écrit : «dans toute la partie de l’Amérique que j’ai parcourue, je n’ai pas trouvé un seul Anglais que ne se trouvât pas Américain, pas un seul Français qui ne se trouvât pas Étranger».

Il prédit que les États-Unis remplaceront rapidement la France par l’Angleterre comme leur premier partenaire commercial et stratégique. Pour ceux qui en doutent, il ajoute ces mots prémonitoires : «il paraît d’abord étrange et presque paradoxal de prétendre que les Américains sont portés d’inclinaison vers l’Angleterre : mais il ne faut pas perdre de vue que le peuple Américain est un peuple dépassionné… Ainsi, les inclinaisons, ou, si l’on veut les habitudes, ramènent sans cesse les Américains vers l’Angleterre : l’intérêt bien plus encore».

Les mots de Talleyrand offrent un éclairage sur la longue série de malentendus qui a émaillé les relations franco-américaines. La brouille au sujet de l’Irak en 2003 (Londres soutenait Washington), la volte-face de Barack Obama en Syrie en 2013 (avec l’accord du gouvernement britannique) ou encore la «trahison» dans l’affaire des sous-marins australiens (avec l’aide du premier ministre britannique). À chaque fois, l’Angleterre et les États-Unis ont fait cause commune.

Plus encore depuis sa sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni reste le point d’appui de la projection de puissance américaine. Elle l’a d’ailleurs toujours été. Le Général de Gaulle l’avait déjà bien compris. La visite à la Maison Blanche du premier ministre Boris Johnson en est l’illustration.

Dans l’affaire des sous-marins australiens, Britanniques et Américains discutaient depuis de long mois de manière confidentielle. Sans rien n’en dire aux Français. La pratique n’est pas nouvelle.

Déjà en 1794, les États-Unis avaient négocié en secret un traité avec l’Angleterre, dans le dos de Paris. Ce traité annulait les accords d’alliance signés avec la France. Le Directoire s’était senti trahi et avait expulsé l’ambassadeur américain. Quand l’histoire se répète !

Les écrits de Talleyrand nous éclairent aussi sur le besoin pour Paris de repenser ses alliances. Est-il alors si étonnant que Talleyrand fut un avocat infatigable d’un rapprochement de la France avec les grandes puissances de l’Europe continentale ?

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