An Evil Larger than Facebook

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Entre une panne majeure qui a fait reculer le cours de son action de 5 % à Wall Street, les révélations troublantes d’une lanceuse d’alerte sur ses pratiques d’affaires et des audiences corsées devant le Congrès américain, la dernière semaine fut houleuse pour Facebook.

Le géant de Menlo Park est le paratonnerre de l’insatisfaction grandissante du public et des politiciens à l’égard des agissements des grandes entreprises de commerce numérique. À la lumière des révélations de Frances Haugen, une ancienne employée de Facebook qui s’est confiée à l’émission 60 Minutes, nous pouvons comprendre pourquoi. Il semble y avoir un décalage important entre les gestes posés par les employés de Facebook pour agir contre la désinformation et les effets délétères des plateformes sur le mieux-être de ses usagers et les visées mercantiles de la haute direction.

Selon Mme Haugen, Facebook savait que sa plateforme Instagram était nuisible à l’image corporelle et à la santé mentale des adolescentes, mais elle n’a rien fait pour corriger la situation. Elle reproche à l’entreprise d’avoir systématiquement refusé de mettre en place des politiques internes visant à limiter les conséquences négatives de ses applications, de peur de nuire aux statistiques sur l’engagement et les interactions significatives, lesquelles sont à la base de sa redoutable régie publicitaire.

Frances Haugen, le très critique sénateur démocrate du Connecticut Richard Blumenthal et de nombreux experts avancent même que Facebook et les géants du commerce électronique sont sur le point de connaître les mêmes déconvenues que l’industrie du tabac. « Big Tobacco » savait que ses produits étaient néfastes pour la santé, mais a dissimulé les résultats de ses recherches internes, ses dirigeants allant même jusqu’à se parjurer devant le Congrès. L’histoire se répétera-t-elle ?

Face à tant de colère et d’indignation, un élément important du débat est passé sous silence : Facebook n’est pas contre la réglementation de ses activités. L’entreprise dit même souhaiter que les élus américains se risquent sur une proposition de réforme. C’est là que tout devient compliqué.

Les appels à la régulation sont mixtes et se divisent essentiellement en trois catégories : le démantèlement des entreprises du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) selon les dispositions antitrust ; le renforcement du droit à la vie privée et de la protection des données personnelles (le pétrole du commerce électronique) ; et l’éradication de la désinformation et des attaques contre les groupes minoritaires et les institutions démocratiques.

Le débat ne manque pas d’angles morts. S’intéresser à la position dominante de Facebook sans lorgner du côté de la domination d’Amazon relève de l’aveuglement volontaire. S’inquiéter de l’influence d’Instagram sur l’image corporelle des adolescentes sans remettre en question un système qui a fait de la maigreur un critère de beauté, c’est faire preuve de paresse intellectuelle. Dénoncer la désinformation sur Facebook, c’est bien, mais la cohérence exigera que le législateur intervienne aussi à l’encontre de Fox, propriété de Rupert Murdoch, un réseau qui est le plus gros amplificateur du mensonge au sujet de « l’élection volée » par le président Joe Biden. 

Au préalable, il faudra que les législateurs résolvent une difficile énigme. Puisqu’il n’existe aucune disposition faisant de la désinformation un acte illégal, comment sera-t-il possible de réguler sans compromettre d’une manière irrémédiable le droit à la liberté d’expression ? Dans un monde réformé, ce qui vaudra pour Facebook et les autres devait aussi valoir pour les médias, les artistes et tous ceux qui évoluent sous ce fragile parapluie.

Cela ne revient pas à dire que le laisser-faire est souhaitable. Le cas de Facebook illustre les risques associés au déploiement d’algorithmes qui ne sont pas soumis au contrôle de l’intelligence humaine. Ils ont mené Facebook dans une boucle de distorsion dont la compagnie ne s’échappe pas, a illustré Haugen. Sans éventer le « secret dans la sauce », les législateurs des pays démocratiques pourraient forcer les GAFAM à faire preuve de plus de transparence et de redevabilité dans l’usage des algorithmes, avec des pénalités à la clef. Il s’agirait d’un instrument utile pour remettre le génie maléfique de la désinformation dans la lampe.

Mais surtout, il est temps de mettre fin à l’exemption de poursuites en diffamation dont bénéficient les entreprises numériques depuis l’avènement de « l’autoroute de l’information », au nom d’une conception totalement éculée du concept de la neutralité d’Internet. Le jour où les plateformes comme Facebook seront responsables des conséquences pour les contenus diffamatoires ou haineux qui se retrouvent sur leurs applications, elles auront le meilleur incitatif du monde pour assainir leur écosystème.

Une telle réforme nécessite que d’un commun accord, au-delà des frontières, les États envisagent les plateformes pour ce qu’elles sont : ni entreprises de technologie ni médias à part entière, elles évoluent dans un entre-deux nécessitant l’adoption d’un régime d’encadrement distinct.

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