Facebook, ses dérives et nos données
De temps à autre — et de plus en plus souvent —, on alerte sur la détresse engendrée par les réseaux sociaux ou sur la polarisation attisée par les algorithmes qui aiguillent les informations vers les usagers. Les révélations de l’ancienne dirigeante de Facebook Frances Haugen ont récemment permis de confirmer que le réseau social disposait d’analyses sur la détresse de ceux qui souffrent des comportements abusifs sévissant sur ses plateformes, mais a choisi de ne rien faire qui pourrait nuire au rendement de l’entreprise. Facebook est une grande place publique, mais avec des réflexes de société commerciale.
Au fil des crises, les entreprises comme Facebook, Google ou Amazon réagissent en brandissant quelques actions afin de protéger leur image d’entreprise. Mais c’est l’absence de lois étatiques pertinentes et efficaces qui entretient la persistance de ces menaces associées aux réseaux sociaux et aux autres espaces connectés.
Les réseaux sociaux dépendent d’une ressource cruciale ; leur profitabilité est en effet liée à leur capacité de valoriser les milliards de données que chacun d’entre nous produit du seul fait de son activité dans le monde connecté. Les processus par lesquels Facebook crée de la valeur reposent sur la compilation des innombrables traces que tout un chacun laisse du seul fait de son activité en ligne. C’est en optimisant ses algorithmes afin de maximiser le temps que les usagers passent sur ses plateformes qu’un réseau social comme Facebook peut maximiser ses revenus tirés de la publicité ciblée.
Les lois
Tant en Europe qu’aux États-Unis, on reconnaît désormais la nécessité de mettre en place des encadrements afin de réglementer les pratiques des grandes plateformes d’Internet. Les législateurs canadiens ne peuvent plus justifier leur inaction en s’appuyant sur l’immobilisme des Américains ou des Européens.
Il y a depuis longtemps les lois qui obligent les entreprises à demander notre consentement lorsqu’elles collectent et utilisent nos données personnelles. L’effet principal de ces lois est de requérir qu’on nous gratifie de longs documents dans lesquels on nous explique ce à quoi nous consentons. Tout le monde clique sur « j’accepte » lorsqu’on nous demande de souscrire aux conditions d’utilisation, le plus souvent enfouies dans des hyperliens sur lesquels de rares curieux prennent la peine de cliquer. C’est insuffisant pour réguler une ressource collective comme les données massives.
Le marché des réseaux sociaux ou de la vente en ligne présente une forte tendance à faire en sorte que l’entreprise dominante gobe pratiquement toute concurrence. Ces constats portent certains à préconiser le démantèlement des mégaentreprises comme Facebook. Mais on aurait tort de penser qu’il suffirait de démembrer ces mégaentreprises pour disposer d’un encadrement qui répondrait vraiment aux multiples enjeux du monde connecté.
Quant à l’Union européenne, elle met en place une législation sur les services numériques pour revoir les responsabilités des utilisateurs, des plateformes et des pouvoirs publics. On vise à mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux tout en exigeant plus de transparence des plateformes. Il est aussi question de préciser les responsabilités des grands joueurs.
Du côté américain, il y a désormais un alignement favorable des branches exécutives et législatives de l’État américain, pour faire des États-Unis « le leader mondial dans l’élaboration de règles de conduite pour l’économie numérique ».
Aujourd’hui, ce sont les dérives observées dans les réseaux sociaux qui motivent les politiques à agir. Mais la plupart des activités fondées en tout ou en partie sur les technologies numériques, qu’il s’agisse des objets autonomes, du commerce en ligne ou des systèmes de communication dits « intelligents », fonctionnent en compilant les données massives générées par les mouvements des personnes et des objets connectés. La mise en place de lois équitables et efficaces passe par la reconnaissance du rôle crucial que tient la valorisation des données massives dans l’économie numérique.
Transparence des algorithmes
Comme tout environnement complexe, les réseaux sociaux sont des espaces du meilleur et du pire. Il y a longtemps que l’on sait qu’il en va ainsi de tous les espaces publics. Nous avons appris à développer des lois pour encadrer ce qui se passe sur nos places publiques en bitume et en béton. Le défi est de concevoir et d’appliquer des lois pour des espaces publics qui sont constitués par des réseaux et des processus de traitements massifs de données. Il ne peut être question de tenter de réguler cela avec les outils anciens. Les États aussi doivent innover !
Dans son livre L’âge du capitalisme de surveillance, Shoshana Zuboff explique que les modèles d’affaires des entreprises dominantes d’Internet reposent sur la captation de la valeur des données massives générées par les mouvements de tous ceux qui agissent dans le monde connecté. C’est donc au niveau des logiques économiques associées à ces processus que les lois nationales doivent imposer des balises et de la transparence.
Comme tout objet potentiellement dangereux, les plateformes en ligne doivent être tenues à des exigences à la mesure des risques qu’elles font courir aux populations. Les États doivent se doter des outils pour réguler les procédés reposant sur le traitement des données massives. Il faut que les lois imposent plus de transparence et de responsabilisation de la part de ceux qui génèrent de la valeur en mobilisant des processus algorithmiques. Il est naïf d’attendre des grandes entreprises du Web qu’elles se régulent toutes seules. C’est aux États qu’incombe la tâche de mettre en place des règles du jeu conséquentes avec les caractéristiques des environnements numériques. Le rattrapage est devenu urgent.
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