Parlons de Facebook — et de Hunter Biden
En eaux troubles, le réseau social de Mark Zuckerberg pourra profiter des divisions politiques qu’il nourrit pour se sortir de l’impasse.
États-Unis
Rafael Jacob
6 octobre 2021
Le mois dernier, le Wall Street Journal a révélé dans un reportage-choc, par l’entremise d’une délatrice interne, que Facebook jouait un rôle carrément toxique pour la démocratie américaine.
La délatrice en question, Frances Haugen, est depuis venue appuyer ses dires sur la place publique avec une mine de documents internes montrant une entreprise tirant profit de la rancœur, de la colère et du vitriol. Facebook se servirait notamment de son algorithme pour faire mousser le contenu le plus polarisant et polémiste, dans l’espoir que ses utilisateurs, « accrochés » par le côté sombre des émotions humaines, passent plus de temps sur le site… et rapportent par le fait même plus de revenus publicitaires.
Les révélations confirment — et amplifient — certaines des craintes de longue date par rapport au réseau social. Elles amènent de l’eau au moulin des partisans d’un resserrement législatif sérieux envers les géants du Web, particulièrement en matière de régulation de contenu. Mais à court terme, de tels changements demeurent improbables.
D’abord, l’influence démesurée de ces entreprises — à la fois sur les plans culturel, économique et social — les rend difficiles, politiquement, à mettre au pas. Puis, il y a le fait que même chez les législateurs qui souhaitent le faire — et il y en a —, on ne s’entend pas sur la nature du problème.
Trop de contrôle… ou pas assez ?
D’un côté, certains, surtout chez les démocrates, demandent que les acteurs comme Facebook luttent plus énergiquement contre la désinformation et les messages potentiellement dangereux circulant librement.
En ce sens, des questions légitimes se posent depuis le 6 janvier dernier quant au rôle de Facebook, même s’il n’était que « passif », dans l’insurrection au Capitole. Les insurgés ont pu utiliser le réseau en toute impunité pour plus facilement organiser la pire attaque interne contre la démocratie américaine depuis des lustres.
À cela s’ajoutent, sur une base quotidienne, mensonges et délires sur des enjeux d’intérêt public, de la vaccination à l’intégrité électorale.
Cette permissivité permet à des gourous conspirationnistes de rivaliser en influence avec des sources crédibles et établies.
Inversement, d’autres, surtout chez les républicains, voient dans le contrôle du contenu une atteinte à la liberté d’expression et, ironiquement, parfois même à la vérité. Un exemple ressort peut-être plus que tout autre : celui de Hunter Biden, fils du président des États-Unis.
En octobre dernier, dans le sprint final de la course présidentielle chaudement disputée entre Donald Trump et Joe Biden, le New York Post a publié un reportage controversé alléguant que l’ordinateur personnel de Hunter, en plus de contenir des images compromettantes de consommation de drogues dures, renfermait des échanges démontrant que Joe Biden avait menti quant à son implication dans les activités professionnelles de son fils.
Il ne s’agissait pas d’activités comme les autres : Hunter était payé grassement pour siéger au conseil d’administration d’une société d’énergie ukrainienne à l’époque où son père était vice-président des États-Unis… et chargé de la politique étrangère du pays dans cette région du monde. Le potentiel de conflit d’intérêts étant évident, Biden a juré tout au long de la campagne de 2020 ne pas avoir été au courant des affaires de son fils ; l’article du New York Post disait avoir la preuve du contraire.
Or, les géants du Web (à commencer, dans ce cas-ci, par Twitter, suivi de Facebook) en ont empêché le partage, pour cause de désinformation.
Le hic ? Comme le prouve un récent article d’un journaliste du site d’information Politico, le contenu du New York Post était bel et bien authentique.
Cette intervention des géants du Web a-t-elle permis à Biden de remporter la présidence ? On ne pourra jamais le démontrer. Mais, considérant que ce sont moins de 45 000 votes dans trois États qui ont donné les clés de la Maison-Blanche à Joe Biden… des questions légitimes se posent.
Les deux mots d’ordre : opaque et arbitraire
Au final, le processus de régulation de contenu des Facebook et Twitter de ce monde ne peut pas faire autrement que de connaître d’importants ratés : laissés à eux-mêmes et détenant des quasi-monopoles, ces géants n’ont pas de vrais comptes à rendre sur leurs façons de faire.
Ainsi, il n’y a presque jamais de réel moyen de déterminer précisément ce qui vaut à un compte de se voir suspendre ou à un message de se voir supprimer, alors qu’un nombre incalculable d’autres véhiculant mensonges et tromperies restent intacts.
Et, surtout, il n’y a jamais de réel moyen de déterminer qui a pris la décision ; aspirer à voir clair à travers les rouages internes relève pratiquement de la kremlinologie.
Le progrès technologique, disait l’autre.
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