Des politesses qu’ils se sont échangées en préambule à ce que Joe Biden et Xi Jinping se sont dit entre quatre yeux pendant leur sommet virtuel, le fossé entre les deux superpuissances reste entier, comme l’ont mis en évidence les communiqués finaux qu’ils ont produits chacun de leur côté. On ne s’attendait pas à autre chose, vu les multiples foyers de tension bilatérale. À défaut, le seul fait que la « séance de travail » ait duré près de trois heures et demie aura au moins été, d’évidence, l’occasion de discussions plus poussées, faute d’avoir été vraiment fécondes.
L’objectif de l’entretien à distance était officiellement de présenter l’image de deux superpuissances qui cherchent à calmer le jeu et à conjurer le risque d’une escalade. « Afin que la compétition ne vire pas au conflit », a d’abord plaidé M. Biden, que ce soit dans le cyberespace ou dans les eaux de la région indo-pacifique. La communauté internationale leur en sait gré, mais le résultat n’en est pas moins fragile. Entendu qu’aucune des deux n’a intérêt à affronter militairement l’autre au sujet de Taiwan. Il reste que leurs communiqués respectifs d’après-sommet se sont limités à la liste déjà connue des griefs réciproques. Si bien que celui de M. Biden a soulevé les atteintes aux droits de la personne au Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong et a critiqué les politiques commerciales et économiques « déloyales » de Pékin. Et que celui de M. Xi a averti la Maison-Blanche de ne pas « jouer avec le feu » sur la question taiwanaise, indiquant explicitement qu’une nouvelle guerre froide — qu’il s’emploie lui aussi à cultiver — serait « désastreuse pour le monde ». Des propos qui, de part et d’autre, présentent peu de perspectives de détente.
C’était évidemment un sommet tenu, pour l’un comme pour l’autre, à des fins de consommation politique intérieure. Et c’est peut-être en cela qu’il a été le plus révélateur, ces deux hommes incarnant l’état bipolaire du monde actuel — celui d’une Amérique dont la démocratie flanche versus celui d’une dictature chinoise bien en selle. D’un côté, un Joe Biden qui, cherchant à retomber sur ses pieds, aura en fait projeté l’image d’un homme qui n’arrive pas à se sortir la tête de l’eau, président d’un pays déchiré politiquement et socialement où les Donald Trump et les Steve Bannon de ce monde appellent toujours à son renversement. De l’autre, un Xi Jinping plus sûr de lui que jamais, à la tête d’une Chine plus influente que jamais, un homme dont le projet totalitaire vient d’être entériné par le plénum du comité central du Parti communiste chinois. Il est vrai que le régime chinois est d’une opacité qui empêche d’en voir tous les ressorts et que le pays fait face à d’immenses défis de développement. N’empêche qu’à se prêter au jeu de ce sommet, la stature de M. Xi s’en trouvera amplifiée en Chine. Pas celle de M. Biden aux États-Unis.
C’est en outre un sommet virtuel qui n’aura pas, fait navrant, produit de résultats quant à la collaboration en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Au contraire. La COP26, qui vient de prendre fin à Glasgow, a largement douché les chances d’avancées rapides et concrètes dans la lutte contre le dérèglement. Mais l’annonce surprise pendant cette COP d’un accord de collaboration environnementale entre les États-Unis et la Chine, les deux plus gros émetteurs de CO2 au monde, aura envoyé un certain signal d’espoir. Washington avait souligné que conformément à cet accord, la question écologique allait faire l’objet d’une approche séparée des autres contentieux. Que nenni. Lundi soir, M. Xi aurait indiqué à M. Biden que la coopération en matière environnementale dépendait de l’état de l’ensemble de la relation bilatérale. Signe que même sur une question aussi cruciale, les fils du dialogue sont ténus. Trop ténus.
Le calendrier de M. Biden fait par ailleurs qu’il rencontrera jeudi à Washington le premier ministre Justin Trudeau et le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, à l’occasion d’un sommet des « trois amigos ». Pour avoir subi dans l’« affaire Huawei » la diplomatie des otages de Pékin en même temps que la crânerie de Donald Trump, M. Trudeau aura intérêt à faire valoir à M. Biden que la solution à ses batailles avec la Chine passe — mais pas que, évidemment — par une plus grande solidarité des États-Unis avec leurs alliés. Or, cette solidarité a fait défaut au président malgré ses appels au multilatéralisme. On l’a vu avec l’affront fait à la France dans l’affaire des sous-marins vendus à l’Australie. On le voit maintenant, face au Canada, à la façon dont il veut appliquer des politiques économiques ultraprotectionnistes — dans le domaine notamment de la fabrication de voitures électriques — au nom de stricts calculs électoraux. Sous Biden comme sous Trump, mais différemment, les États-Unis ont le désagréable réflexe de tenir le Canada un peu trop pour acquis.
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