L’économie avant la démocratie
Aux États-Unis, les inquiétudes économiques risquent fort de nuire à Joe Biden… et de favoriser un retour au pouvoir de Donald Trump en 2024.
Rafael Jacob
21 décembre 2021
Si les inquiétudes économiques éprouvées sous Joe Biden continuent à faire rage, l’électorat américain pourrait se tourner vers une solution de rechange présentant pourtant des risques d’une tout autre ampleur : Donald Trump.
Il est clair depuis des mois maintenant que l’économie constitue la priorité actuelle des Américains. Le problème de l’inflation, d’abord rejeté du revers de la main par la Maison-Blanche et la Réserve fédérale, avant d’être qualifié de façon dérisoire de « transitoire », ne peut tout simplement plus être nié.
Les plus récentes statistiques du gouvernement fédéral américain à ce sujet, publiées la semaine dernière, affichent une hausse de l’indice des prix à la consommation sans précédent en près de quatre décennies.
Qui plus est, les données sous-estiment l’inflation à plusieurs égards comparativement à il y a 40 ans, entre autres parce que le gouvernement américain a entre-temps modifié sa formule pour la calculer. L’immobilier, par exemple, ne figure désormais plus dans l’indice. Or, le prix des maisons aux États-Unis a bondi de quelque 20 % en un an — soit environ le triple du niveau global d’inflation, déjà historique, dévoilé il y a quelques jours.
Et Joe Biden écope politiquement, surtout avec une banque centrale très limitée dans ce qu’elle peut faire pour mater cette inflation. Le taux d’approbation du président demeure coincé sous la barre des 45 % — une zone d’énorme danger, s’il devait s’y maintenir, pour son parti par rapport aux élections de mi-mandat de novembre 2022. Son taux d’approbation sur l’économie le traîne vers le bas : il se situe sous les 40 % ; sur la question précise de l’inflation, il tombe sous les 30 %.
Et cette perte de terrain ne se fait pas en vase clos : elle semble bénéficier directement au prédécesseur de Biden, qui se voit également comme son successeur : Donald Trump.
Un nouveau duel
Le lendemain de la présentation des plus récentes données sur l’inflation, l’Université Harvard a publié les résultats de son dernier sondage national. Tout au long de l’année électorale 2020, Harvard avait mené une dizaine d’enquêtes de la sorte. Toutes, sans exception, avaient donné Biden gagnant ; la dernière, à une semaine du vote, par huit points de pourcentage (Biden a finalement remporté le suffrage universel par quatre points).
Aujourd’hui, en décembre 2021, dans un nouveau duel hypothétique entre Biden et Trump, le sondage Harvard place le républicain en avance par trois points. Face, toujours hypothétiquement, à la vice-présidente Kamala Harris, l’avance de Trump triple, passant à neuf points. Dans un contexte où, depuis la première campagne de Trump en 2016, le Collège électoral l’avantage naturellement, ce genre de résultat se traduirait par une sorte de raz-de-marée électoral pour l’ex-président républicain.
Paradoxalement, de nouvelles informations, plus accablantes les unes que les autres, continuent de faire surface au sujet du rôle de Trump lors de l’insurrection au Capitole, dont aura lieu prochainement le premier anniversaire. Dans les derniers jours seulement, des messages textes du fils aîné du président, Donald Trump Jr., exhortant son père à enjoindre à ses partisans de quitter le Capitole alors que l’insurrection s’y déroulait ont été rendus publics. Le père n’y a, on le sait, jamais donné suite.
Ce à quoi Donald Trump s’affaire présentement à donner suite, c’est l’opposition aux quelques élus de son parti ayant osé lui tenir tête lors de sa tentative manquée de coup d’État. Au début du mois, il a donné son appui à l’ex-sénateur David Perdue, qui veut déloger le gouverneur républicain sortant de la Géorgie, Brian Kemp, qui a refusé d’intervenir comme Trump le lui demandait pour annuler la courte victoire de Biden dans son État l’an dernier. Ce travail de « purification », qui se poursuivra tout au long de la campagne de mi-mandat de 2022, vise une chose : créer un Parti républicain qui restera entièrement uni derrière Trump en 2024… qu’il gagne ou qu’il refuse de concéder qu’il a perdu.
Pour une partie importante du public américain, les enjeux démocratiques, aussi nobles puissent-ils être, paraissent abstraits et secondaires devant l’offre de restaurer un sentiment de sécurité économique — même si cette dernière vient d’un leader autoritaire.
Tout en faisant attention aux comparaisons simplistes, rappelons que le fascisme a connu sa montée en énorme partie en réaction à des inquiétudes de nature économique en premier lieu. Le Parti national fasciste de Mussolini est arrivé au pouvoir alors que pesait la crainte de voir les communistes prendre le contrôle de l’économie italienne. Tout comme le parti nazi de Hitler s’est non seulement hissé à la tête de l’Allemagne en misant sur la grogne populaire causée par la dépression des années 1920, mais s’y est maintenu, dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, grâce à une reprise économique largement applaudie.
Donald Trump n’est ni Mussolini ni Hitler — et il n’est toujours pas candidat officiel à l’élection présidentielle américaine de 2024, avant laquelle bien des choses ont encore le temps de changer. Reste qu’une constante doit être considérée dès maintenant : ce n’est pas que le sort du Parti démocrate qui sera fragilisé par le malaise économique actuel s’il doit se prolonger — c’est aussi celui de la démocratie.
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