Critical Reflection on Uses of the Term ‘Woke’

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Le terme « woke » est utilisé de façon tellement polémique par divers acteurs politiques qu’il a perdu sa valeur analytique. Il est trop chargé de jugements (généralement négatifs) et son sens est imprécis. Je préfère l’éviter.

Dans les luttes contemporaines pour la justice sociale aux États-Unis, être woke (« éveillé » en slang américain), c’est :

a) être conscient des injustices sociales, surtout quand elles sont masquées par le discours dominant et encore plus quand on les subit soi-même, et

b) en fonction de cette prise de conscience, prendre position contre une hégémonie culturelle des dominants dont le discours tend à nous rendre aveugles aux injustices sociales. C’est dans ce sens, par exemple, que la « critical race theory » vise à rendre visibles les logiques raciales qui ne disent pas leur nom et qui se déguisent en postures universalistes. J’estime que ces logiques raciales sont beaucoup plus marquées aux États-Unis qu’au Canada ou au Québec.

En somme, le terme a désigné une posture de prise de conscience des injustices, et de la nécessité de mener des luttes pour dénoncer leurs manifestations dans le langage et la culture. C’est là que la posture woke s’exprime, et elle tire son sens positif (aux yeux des militants pour la justice sociale) de la contestation des rapports de pouvoir qui s’expriment dans le discours.

Mais comment a-t-il fini par prendre des connotations négatives ? Et négatives pour qui ?

Pour diverses raisons, les postures woke ont fini par donner lieu à des dérapages, c’est-à-dire des actions injustifiables, qui les ont discréditées et qui sont responsables de l’usage péjoratif du terme « woke ». Mais qu’est-ce qui constitue un dérapage ou une action injustifiable ?

Deux perspectives

La première perspective (qui est la mienne) se situe en appui aux luttes pour la justice sociale, et elle est globalement de gauche, mais elle est critique de l’usage inadéquat de certaines accusations de « racisme » ou de « transphobie », surtout lorsqu’elles sont accompagnées d’actions pour « faire taire ».

La deuxième perspective est celle des groupes hégémoniques, qui voient d’un mauvais œil la contestation de l’ordre établi. Ils vont alors se saisir de chaque dérapage pour accentuer son danger. Et leur critique portera d’autant plus que les dérapages se multiplient.

Quand une militante contre le racisme, qui encourage ses étudiants et étudiantes à participer aux manifestations de Black Lives Matter, se fait traiter de raciste par certains de ses étudiants et étudiantes parce qu’elle a utilisé le fameux mot en n pour analyser les stratégies de retournement du stigmate, il y a là un dérapage qui ne sert pas la cause des luttes pour la justice sociale. Mais jusque-là, il n’y a encore rien à signaler. Il y a une longue tradition de radicalisation des luttes pour la justice sociale, et particulièrement des luttes étudiantes. On ne peut pas reprocher à des jeunes de 19 ans de faire ce que les jeunes de 19 ans font souvent : contester. Le problème survient quand l’université, sous couvert d’appui aux luttes pour la justice sociale, appuie des actions de censure, et valide, à tort, les accusations de racisme contre l’enseignante avant d’avoir examiné adéquatement si ces accusations tiennent la route.

Dans cette logique, il est arrivé que plusieurs établissements d’enseignement, ou encore de grandes institutions médiatiques regardent d’un œil favorable ces excès, pour diverses raisons qui méritent une analyse séparée. J’ai examiné dans une publication récente* deux aspects de ces dérapages, dans lesquels : a) la posture morale remplace souvent la posture analytique, et b) les concepts (racisme, « phobies » diverses) sont étirés bien au-delà de leurs limites de validité. Et cela a pour conséquence que les « détenteurs et détentrices de la vertu inclusive et de la vérité absolue » se sentent le droit de faire taire les discours qu’ils n’aiment pas, y compris au sein de l’université. C’est cela qui permet de considérer que la posture woke, au départ libératrice, est devenue contre-productive dans les luttes pour la justice sociale.

Dans ce contexte, les groupes hégémoniques (porteurs d’une perspective de droite) ont beau jeu de délégitimer ces formes de critiques de l’ordre social dominant, à cause de ces dérapages. Cette situation permet alors un discours démagogique qui associe à une posture de droite et à une « panique morale » toute critique des dérapages associés à la posture woke.

Voilà pourquoi il est urgent que les forces contestataires de l’ordre dominant restent critiques et vigilantes face aux dérapages qui discréditent leurs luttes.

* Identité, « race », liberté d’expression. Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche. Sous la direction de Rachad Antonius et Normand Baillargeon.

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