Water in the Gas Tank

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La position des États-Unis face à la Russie dans le dossier ukrainien risque de souffrir de la dépendance de leurs alliés européens au gaz naturel russe.

Rapide, sévère et unie.

Voilà les trois mots que répète depuis maintenant des semaines le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, pour décrire la réponse que les États-Unis et leurs alliés promettent au président russe, Vladimir Poutine, s’il devait ordonner une invasion de l’Ukraine.

Or, à quel point l’Occident est-il réellement uni présentement face à Moscou ?

Au moment où l’ambassade américaine à Kiev se préparait à évacuer son personnel « non essentiel », on apprenait que l’Allemagne, première économie de l’Union européenne, refusait de délivrer un permis à l’Estonie pour acheminer de l’équipement militaire d’origine allemande à l’Ukraine. Selon la raison officielle émise par Berlin, puisque l’Allemagne avait été à l’origine de la Seconde Guerre mondiale, elle voulait éviter de contribuer à un nouveau conflit qui pourrait dégénérer sur le continent.

La raison officieuse était moins noble… et plus pragmatique.

Quand l’énergie mène le monde

Lorsqu’il est arrivé avec fracas à la Maison-Blanche en 2017, Donald Trump a immédiatement créé une onde de choc en remettant ouvertement en question la solidité — et la pertinence — de l’OTAN. Devant lui se tenait — de façon à la fois littérale et figurée — la chancelière allemande Angela Merkel, emblème de l’union des « démocraties libérales » sur le Vieux Continent. À leur toute première rencontre à la Maison-Blanche, Trump causait un véritable scandale diplomatique devant des journalistes du monde entier en refusant de lui serrer la main.

Un an plus tard — au sommet de l’OTAN, de surcroît —, Trump en ajoutait une couche : « L’Allemagne est totalement dominée par la Russie […] Ils vont recevoir de 60 % à 70 % de leur énergie de la Russie et d’un nouvel oléoduc. Dites-moi si vous croyez que c’est approprié, parce que je ne crois pas que ce le soit. »

Évidemment, les propos ont à l’époque été largement vus pour ce qu’ils étaient : abrasifs, insultants et profondément antidiplomatiques. Et ils venaient, doit-on le rappeler, d’un président américain qui était accusé depuis sa propre élection d’être lui-même sous l’emprise de la Russie.

Or, quatre ans plus tard, la perspective de Trump prend une tout autre dimension à la lumière des développements dans la région. C’est que, au fil des 20 dernières années, deux projets de gazoducs visant à approvisionner l’Allemagne depuis la Russie ont fait l’objet de débats acrimonieux entre les pays membres de l’OTAN. Dès le début des années 2000, les trois nations baltes émettaient des réserves quant à l’arrivée du gazoduc Nord Stream, qui, selon elles, accentuerait l’influence russe en Europe. Une décennie plus tard, le film se répétait et prenait de l’ampleur avec un second gazoduc — Nord Stream 2.

La suspension temporaire du projet par les autorités réglementaires allemandes pour une question de normes européennes à l’automne a provoqué une hausse de près de 20 % des prix du gaz naturel en Europe cet hiver, un effet de levier dont jouit actuellement Poutine, surtout dans un contexte où les prix de l’énergie ont explosé depuis les dernières semaines.

Unis à la maison ?

Doit-on rappeler l’évidence ? L’Ukraine n’est toujours pas membre de l’OTAN — elle n’en a que manifesté l’intérêt, ce qui est à l’origine de la crise actuelle. Cela signifie qu’elle ne bénéficie pas de l’article 5 de l’OTAN selon lequel « une attaque contre un membre est une attaque contre tous ». Autrement dit, ce n’est pas seulement que certains pays européens sont peu chauds à l’idée de défendre l’Ukraine ; c’est que personne n’est obligé de le faire.

Avant même de pouvoir fédérer les pays de l’OTAN pour appuyer l’Ukraine, la Maison-Blanche doit se rendre à une évidence encore plus élémentaire : les États-Unis ne sont eux-mêmes pas unis sur la question. Les électeurs républicains sont environ deux fois plus nombreux à avoir une opinion positive de Vladimir Poutine… plutôt que de Joe Biden !

À Washington, le président doit encaisser les attaques d’élus républicains lui imputant la responsabilité de la posture agressive russe actuelle, notamment en raison de la faiblesse américaine ayant été projetée par le retrait catastrophique de l’Afghanistan. En même temps, avec une population désapprouvant majoritairement sa gestion et peu encline à voir le pays se lancer dans une nouvelle grande aventure militaire, son coffre d’outils est restreint.

À deux semaines des élections américaines de 2008, Joe Biden, alors colistier de Barack Obama, commettait une bourde lors d’une allocution publique en prédisant qu’Obama, de par son jeune âge et son expérience limitée, allait être testé à l’international dès sa première année s’il devait être élu président.

Force est de constater qu’en huit ans à la Maison-Blanche, Obama n’aura sans doute pas été aussi testé que l’est Biden après un an à la présidence.

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