Avortement et Cour suprême : une décision contre la liberté, point
ÉDITORIAL / La nouvelle est tombée en pleine soirée, alors que les Américains s’amusaient à regarder les tenues du bal du Musée Metropolitan à New York. Les robes extravagantes et la légèreté à son meilleur, celle qui attire toutes les attentions, un peu comme le Superbowl, ont été interrompues par un coup de glaive visant en plein cœur cette insouciance. On venait d’apprendre que la Cour suprême des États-Unis, tel que programmé par les nominations de Donald Trump, se préparait à casser l’arrêt Roe c. Wade, celui qui garantit aux Américaines la liberté en matière d’avortement.
Le scoop venait du média en ligne Politico, qui a publié un brouillon de la décision.
« La Cour suprême ne vise pas juste l’avortement. Elle s’attaque au droit à la vie privée sur lequel la décision de Roe c. Wade repose, ce qui inclut le mariage gai et les droits civiques », a tout de suite commenté la représentante démocrate Alexandria Ocasio-Cortez. « Il faut légiférer immédiatement pour que Roe c. Wade soit une loi dans ce pays MAINTENANT », a ajouté le démocrate Bernie Sanders. « Pas surprenant, mais néanmoins scandaleux », a commenté l’ancienne candidate à la présidence Hillary Clinton. « Cette décision est un assaut direct contre la dignité, les droits et les vies des femmes. Cela va tuer et asservir les femmes, alors qu’une vaste majorité d’Américains pense que le droit à l’avortement devrait être légal. Quelle honte totale ! »
Le jugement que se prépare à rendre la cour, n’est pas une surprise.
Donald Trump a tout fait pendant sa présidence pour nommer des juges clairement opposés à la liberté en matière d’avortement. L’alliance avec l’extrême-droite religieuse américaine était au cœur de la stratégie électorale de Trump. Il leur a livré ce qu’il avait promis.
Et aujourd’hui, on en arrive là.
La décision de la Cour suprême est une réponse à une poursuite contre l’État du Mississipi, qui veut de nouveau rendre illégal les avortements passé 15 semaines de grossesse. Actuellement, un État ne peut pas faire ça. Le plus haut tribunal lui donnera le feu vert.
La suite est entre les mains des élus, du Congrès, de ceux qui veulent protéger les droits fondamentaux garantis par la décision historique rendue le 22 janvier 1973, qui a assurait aux Américaines l’accès à ce service médical.
La suite est entre les mains de tous ceux qui veulent que les femmes aient accès à cette option assurée par des professionnels, si elles en font le choix.
Parce que, comme l’ont souligné plusieurs lundi soir, on ne parle pas ici d’une décision qui va arrêter les avortements. Il y aura toujours des avortements car il y aura toujours des femmes qui voudront décider de ce qu’elles font avec leur corps.
On parle d’une décision qui, si elle n’est pas contrée par une loi fédérale, va permettre aux États d’interdire les avortements pratiqués dans des conditions sécuritaires où la santé, la vie des femmes, est réellement protégée.
Doit-on s’inquiéter de cette décision ici au Canada, où la liberté est garantie depuis l’arrêt Morgentaler en 1988 ?
Oui.
On doit s’inquiéter de cette décision et de toute la guerre contre le progressisme et la démocratie qui se joue aux États-Unis car elle nous contamine ici aussi. Car ces idées gagnent du terrain chez nous. Deviennent normales même de ce côté de la frontière. On l’a vu avec les manifestations récentes à Ottawa. Cet extrémisme, on ne l’aurait jamais vu auparavant dans ce pays où les consensus sociaux font pratiquement partie de notre ADN. Ou en tout cas, ne créent pas de remous violents qu’une bonne consultation populaire, une bonne conversation ouverte et démocratique, n’arrive pas à calmer.
Le passage de Donald Trump à la présidence américaine a normalisé, banalisé des positions extrémistes qui minent les consensus sociaux, éloignent les humains les uns des autres, polarisent tous les débats, fracturent les bases de ce qui fait qu’on vit en paix, avec de l’espace pour avancer chacun à sa vitesse.
Et ceux qui sont derrière le mouvement anti-avortement ne sont pas juste opposés à cette forme de choix. Ils sont opposés à de nombreuses mesures sociales mises en place à travers des décennies, touchant l’égalité de tous, l’inclusion de tous. Mariage entre conjoints du même sexe, mesures pour lutter contre les discriminations, politiques pro-égalités… Toutes des politiques progressistes auquel on tient au Canada, mais qu’on se doit de protéger plus que jamais.
Car ce n’est pas juste la liberté des femmes face à leur corps qui est en jeu ici. C’est la liberté point.
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