Une véritable catastrophe
Incroyable mais triste et horrible vérité, les femmes ne pourront plus disposer de leur corps comme bon leur semble, en tout cas dans la moitié des États américains. Ce pays se targue de compter parmi les démocraties protégeant le plus vigoureusement les droits de ses citoyens, mais avec une majorité ultraconservatrice bien installée par Trump au plus haut tribunal du pays, les droits des femmes sont en berne. Il s’agit d’un recul révoltant.
La décision était attendue et n’a surpris personne, mais elle n’en est pas moins catastrophique. Sitôt la décision rendue vendredi matin, des militants anti-choix ont célébré en liesse devant la Cour suprême la fin de l’arrêt Roe v. Wade, pendant que, dans le camp des pro-choix, on mesurait avec effroi les conséquences immédiates pour la liberté fondamentale des femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent : dans au moins la moitié des États américains, il est entendu que l’avortement sera limité ou interdit, puisque le jugement leur en retourne la responsabilité législative. Des États ont immédiatement réagi en brandissant des législations limitant ou interdisant l’accès à l’avortement.
C’est un jour sombre. Alors que des avancées sont notées partout dans le monde eu égard à la santé reproductive des femmes, alors même que des pays longtemps menés par des lobbys très religieux relâchent peu à peu leurs verrous pour redonner aux femmes le choix qui leur revient, l’une des plus grandes nations du monde retourne 50 ans en arrière. Le président démocrate, Joe Biden, assiste, impuissant, à l’effritement des droits des femmes ; il subit avec son peuple l’héritage de son prédécesseur, Donald Trump, qui a semé aux premières loges de la Cour suprême des ultraconservateurs dont les idéologies pourraient continuer à démolir des acquis.
Six juges — dont les trois nommés par l’ex-président Trump — ont souscrit à l’idée selon laquelle l’interprétation juridique de 1973 était « complètement erronée ». « Le pouvoir de réglementer les avortements est donc retourné au peuple et à ses représentants élus », écrit la majorité. La Cour suprême démolit impunément des années d’âpres luttes pour protéger le droit à l’avortement. On sait malheureusement la sombre suite qui s’écrira pour les femmes : des cliniques fermeront, des citoyennes devront parcourir des milliers de kilomètres et payer des sommes — qu’elles n’auront pas — pour trouver un service, des manoeuvres illégales et dangereuses s’opéreront dans la clandestinité. Un véritable scénario d’horreur.
Ce jugement balafre des droits, mais il abrite un autre scandale, et c’est celui de ne pas s’accorder à la volonté des citoyens américains. Selon un récent sondage effectué par le Pew Research Center, 61 % des Américains croient que l’avortement devrait être légal dans toutes ou quelques situations ; à l’inverse, 37 % estiment que ça devrait être illégal dans toutes ou quelques situations. L’opinion des citoyens varie selon qu’on modifie quelques variables, comme le nombre de semaines de grossesse, par exemple. Avec ce recul sociétal immense, la Cour suprême s’inscrit donc en faux contre la volonté du peuple.
Jeudi, elle avait exprimé un autre jugement rétrograde et contraire au bon sens, en invalidant une loi new-yorkaise encadrant le port des armes, le tout en plein coeur d’un débat politique destiné pourtant à mener à l’issue contraire à l’échelle du pays. Et cela, à nouveau à l’encontre de la volonté de la majorité des citoyens, qui veulent des gestes concrets pour que diminue le nombre de décès par balle. À six juges contre trois, la Cour a déclaré non valide une loi qui venait imposer des limites au port d’une arme de poing dans l’espace public. Cette sortie rétrograde survient quelques semaines à peine après les tueries d’Uvalde et de Buffalo. Le 21 juin, des sénateurs démocrates et républicains avaient pourtant donné le signal d’une possible grande avancée en proposant un projet de loi, adopté vendredi, pour mieux baliser la vente d’armes.
Législatif, exécutif, judiciaire : trois pouvoirs valsent aux États-Unis dans des cadences distinctes et sur un fond de schisme entre le camp des démocrates et celui des conservateurs. Le pouvoir judiciaire, mené par une frange conservatrice décidée à rogner les progrès, vient de montrer jusqu’où il peut étendre son bras, redonnant aux États qui suivent sa gamme le loisir d’imposer en leurs frontières une loi conforme à leurs valeurs.
Ces jours-ci, la commission d’enquête sur le 6 janvier permet d’ausculter l’ampleur des dérives orchestrées par Donald Trump : il a inventé une mascarade aux allures de fraude électorale ; il a encouragé ses partisans à prendre d’assaut le Capitole ; il a tenté d’inféoder le pouvoir judiciaire en voulant le forcer à valider son mensonge. Cette impunité désinvolte et crasse constitue un legs bien malodorant dont les effluves s’étendent sur le pays et fragilisent les droits des citoyens.
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