Une affaire qui en dit long sur la politique américaine
L’histoire n’est pas inédite : un candidat s’affiche clairement contre l’avortement puis se retrouve au cœur d’une tempête politique parce qu’il aurait payé l’interruption volontaire de grossesse de sa copine quelques années plus tôt.
En général, c’est le genre d’histoire qui tue une carrière politique dans l’œuf aux États-Unis. Mais pas en 2022. Et surtout pas chez les républicains de Trump.
Herschel Walker est une ancienne vedette du football américain, tant au niveau collégial qu’au niveau professionnel. Et c’est aussi un ami de longue date de Donald Trump.
Lors de la convention républicaine de 2020, il avait dit percevoir comme une insulte personnelle le fait que les gens pensent qu’[il aurait] eu une amitié de 37 ans avec un raciste.
Herschel Walker a aussi participé à l’émission de téléréalité The Apprentice, que Trump a animée pendant de longues années avant de se lancer en politique.
Normal, donc, que l’ex-président ait ardemment soutenu la candidature de Walker, d’autant que celui-ci n’hésite pas à faire mousser la théorie erronée de l’élection volée de 2020, chère à Donald Trump. Le footballeur s’est ainsi retrouvé propulsé candidat républicain de la Géorgie pour un siège au Sénat.
Pour les républicains, mettre la main sur une idole du sport, qui plus est afro-américaine, pour affronter dans les urnes le sénateur sortant, le révérend Raphael Warnock, lui aussi afro-américain, a constitué une véritable aubaine.
Des déclarations qui font sourciller
Les républicains pensaient donc avoir trouvé le fils prodigue qui allait leur donner un siège de plus au Sénat. Jusqu’ici, ses gaffes sur le terrain électoral n’ont pas ébranlé leur foi en lui. En effet, depuis ses débuts, la campagne de Walker a été émaillée de déclarations bizarres qui peuvent jeter un doute sur son sérieux.
Herschel Walker est connu pour avoir déjà embelli ou déformé des éléments clés de sa biographie, notamment en affirmant qu’il travaillait dans les forces de l’ordre, ce qui est faux.
Il a aussi fait des déclarations qui laissent perplexes, dont celle-ci sur le plan du président Biden pour combattre l’inflation : Ils continuent d’essayer de vous tromper comme s’ils vous aidaient, mais ils ne le font pas. Ils ne vous aident pas, car une grande partie de l’argent va aux arbres. Vous le savez, n’est-ce pas? Il va dans les arbres. Nous avons assez d’arbres. N’avons-nous pas assez d’arbres par ici?
De quoi parlait-il? Peut-être des milliards de dollars promis pour financer des programmes environnementaux destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Puis, il y a quelques semaines, il a lancé, tout aussi cryptique, que lorsque le bon air des États-Unis décide de flotter vers la Chine, il est remplacé par du mauvais air chinois : par conséquent, nous devons nettoyer ça.
Un footballeur prolifique
Mais passons sur ces bourdes, que certains commentateurs se permettent d’attribuer aux commotions cérébrales récoltées sur le terrain de football. En effet, depuis quelques semaines, les révélations sur le passé de Herschel Walker s’accumulent.
D’abord, quelques vérifications sur ses promesses de verser une part de ses bénéfices à des œuvres caritatives n’ont pas permis de trouver de preuves crédibles selon lesquelles il a effectivement remis cet argent à quatre organismes de bienfaisance, dont les Boy Scouts of America et la National Multiple Sclerosis Society.
Ensuite, Herschel Walker a dû avouer cet été qu’il avait engendré plusieurs enfants, certains lors de relations extramaritales. En tout, le footballeur a une fille et trois fils, dont un qui vient de lui mettre de solides bâtons dans les roues (on y viendra dans quelques lignes).
Puis, cette semaine, le magazine The Daily Beast a publié l’histoire d’une femme qu’a fréquenté le candidat républicain et qui est tombée enceinte en 2009. Tous deux auraient alors décidé, d’un commun accord, qu’elle allait se faire avorter.
Ce sont des choses qui arrivent dans la vraie vie. Mais quand un candidat vedette se fait le chantre des antiavortement puis se retrouve au centre d’une telle tempête en pleine campagne électorale, cela fait désordre.
Dans la vraie vie aussi, cela peut mener à la démission, car les chances d’être élu sont alors normalement réduites à néant. Normalement comme ces nombreuses démissions et fins de carrière abruptes survenues dans le passé à la suite de soupçons d’infidélité, d’indécence ou d’autres histoires personnelles. Les Gary Hart, Anthony Weiner et autres John Edwards sont légion.
La meilleure défense, c’est l’attaque
Cependant, ce n’est pas le cas dans le Parti républicain de 2022 : pas dans le parti de Trump. Lundi soir, Herschel Walker était l’invité de Sean Hannity, animateur pro-Trump sur Fox News. Lorsqu’on lui a montré la carte de prompt rétablissement envoyée à sa copine de l’époque, accompagnée de la preuve qu’il avait payé l’avortement, le candidat a nié avoir payé quoi que ce soit.
J’envoie parfois de l’argent à bien du monde a été sa réponse.
« Je n’ai jamais demandé à qui que ce soit de se faire avorter. Je n’ai jamais payé un avortement : c’est un mensonge. »
Le coup de grâce a cependant été porté dans la même soirée par son fils, Christian Walker, un tiktokeur qui, outré par les propos de son père, l’a accusé de mener un vie de mensonges dont lui et sa mère ont été les victimes.
J’aimerais vraiment que mon père, Herschel Walker, arrête de mentir et de se moquer de nous, a-t-il tweeté. Tu n’es pas un père de famille puisque tu nous as quittés pour baiser des femmes à gauche et à droite, que tu as menacé de nous tuer, nous forçant à déménager six fois en six mois pour échapper à ta violence.
Comment oses-tu mentir ainsi et agir comme si tu étais un homme droit, moral et chrétien? poursuit-il. Tu as passé ta vie à détruire celle des autres.
Par le passé, sur la foi de simples soupçons dans des histoires d’avortement, bien des carrières ont pris fin, bien des politiciens se sont fait couper les vivres. Mais pas dans ce cas-ci. Le président du Senate Leadership Fund, un fonds républicain qui a déboursé plus de 34 millions de dollars en publicités télévisées dans l’État de la Géorgie entre la fête du Travail et le jour des élections, a dit : Pleins gaz pour la Géorgie.
Entre les branches, des républicains maintiennent donc le cap en faveur de Walker. D’autres s’en prennent même au fils dénonciateur en le faisant passer pour un enfant profondément perturbé avec des problèmes personnels évidents.
À une époque où un ex-président fait l’objet de multiples enquêtes et poursuites, il ne faut plus s’étonner de rien…
D’ailleurs, pour Donald Trump, l’occasion était trop belle de défendre son poulain calomnié par les faux médias d’information et, évidemment, par les démocrates.
Quel impact?
Pour les partisans du mouvement MAGA de Trump, l’impact de ces révélations est probablement nul. Cependant, ces électeurs ne sont pas suffisants pour garantir le succès : il faut aussi convaincre les indépendants.
Et là, c’est loin d’être gagné, surtout quand la question de l’avortement montre le bout de son nez.
Le siège de sénateur de la Géorgie est un des rares qui soient vitaux pour les républicains afin de s’assurer le contrôle de la Chambre haute. Ils ne peuvent donc pas se permettre de laisser tomber Walker, surtout que l’autre poulain de Trump en Pennsylvanie, Mehmet Docteur Oz, n’est pas en très bonne posture.
Disons que la porte pour le contrôle du Sénat n’est pas fermée, mais elle semble moins ouverte qu’auparavant pour les républicains.
Même si ces révélations sont du pain béni pour le révérend Warnock, le démocrate est resté magnanime : Je laisserai les éditorialistes décider de l’impact sur la course, a-t-il déclaré. Mais j’ai toujours été d’avis que la chambre d’un patient est un endroit trop exigu pour un patient, pour son médecin et pour le gouvernement.
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