‘All Immigrants Are Entrepreneurs’*

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« Tous les immigrés sont des entrepreneurs »

Philippe Mustar, professeur à Mines Paris-PSL, affirme, dans une tribune au « Monde », que « les immigrés sont une chance pour les pays qui les accueillent » et relève leur rôle massif dans le succès de l’entrepreneuriat aux Etats-Unis.

La contribution des immigrés entrepreneurs aux économies de leur pays d’accueil est un aspect négligé des débats sur l’immigration. Une récente étude de la National Foundation for American Policy (NFAP, 2022) sur l’origine des créateurs des « licornes », ces jeunes entreprises non cotées en Bourse et évaluées à plus d’un milliard de dollars (960 millions d’euros), montre non pas l’importance mais bien le rôle prédominant des immigrés dans la création de ces dernières. Aux Etats-Unis, plus de la moitié d’entre elles (319 sur 582, soit 55 %) ont été fondées ou cofondées par un ou des immigrés. Si l’on prend en compte non seulement les immigrés mais aussi leurs enfants, ce pourcentage monte à 64 %. Et lorsqu’on élargit le spectre en ajoutant les immigrés non fondateurs mais occupant un poste-clé de direction dans l’entreprise (PDG ou vice-président de la technologie), il atteint 80 %. L’immigration joue bien un rôle massif dans les succès de l’entrepreneuriat aux Etats-Unis.

Cela d’autant plus que l’analyse de ces 319 entreprises souligne que 58 % d’entre elles avaient un ou plusieurs fondateurs immigrés et aucun fondateurs natifs, que 28 % comptaient une majorité de fondateurs immigrés ou un nombre égal de fondateurs immigrés et natifs, et que seules 14 % avaient une majorité de fondateurs natifs. Comme l’étude l’indique : « Etant donné que chaque cofondateur contribue à la réussite d’une start-up, il semble probable qu’aucune de ces entreprises d’un milliard de dollars ayant au moins un fondateur immigré n’existerait ou n’aurait été créée aux Etats-Unis si le fondateur né à l’étranger n’avait pas été autorisé à venir aux Etats-Unis. »

Ces entrepreneurs immigrés tirent l’économie et l’innovation américaines : leurs 319 licornes ont créé en moyenne 859 emplois chacune et avaient, au moment de l’étude, une valeur totale de 1 200 milliards de dollars.

Mais les relations entre immigration et entrepreneuriat ne se limitent pas à ces licornes qui, si elles attirent beaucoup l’attention, ne représentent qu’une part infime de la création d’entreprises. Une étude plus ancienne, menée par le Centre for Entrepreneurs de Londres, soulignait, elle aussi, l’impact très important des immigrés : au Royaume-Uni, une entreprise sur sept (tous types de sociétés confondus) a été fondée ou cofondée par des entrepreneurs immigrés. L’activité entrepreneuriale de ces derniers est de près du double de celle des personnes nées au Royaume-Uni.

L’étude a aussi examiné en détail la contribution de ces entrepreneurs pour le segment des entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 200 millions de livres sterling (232 millions d’euros) : les entreprises fondées par des immigrés y employaient 1,16 million de personnes sur un total de 8,3 millions, et étaient responsables de 14 % de la création d’emplois dans ces PME de taille plus ou moins importante. On est loin de l’image d’immigrés arrivant au Royaume-Uni pour prendre les emplois des locaux.

Intégration par le travail

En 2021, une étude menée à partir de la base de données de la société Legalstart (qui a géré les démarches de quelques centaines de milliers d’entrepreneurs) montrait que les étrangers (dont plus des deux tiers de non-Européens) participaient à 15 % des créations d’entreprises en France, une proportion comparable à celle du Royaume-Uni.

Enfin, le lien entre immigrés et entrepreneuriat se fait aussi par le statut de travailleur indépendant. Les statistiques d’Eurostat indiquent que sur les 25,8 millions de personnes en âge de travailler qui étaient des travailleurs indépendants dans l’Union européenne en 2020, 2,8 millions étaient nées à l’étranger (très majoritairement à l’extérieur de l’UE). En moyenne – ce pourcentage varie suivant les pays –, le travail indépendant représente près de 14 % de l’emploi total dans l’UE ; pour les immigrés, ce taux est comparable (ou légèrement inférieur). Le statut de travailleur indépendant est bien aussi l’un des moyens par lesquels se fait l’intégration des immigrés sur le marché du travail.

Dans de nombreux pays, les immigrés sont des créateurs d’emplois, de leur propre emploi mais aussi parfois de nombreux emplois pour tous. Mais l’entrepreneuriat dans sa définition académique est un domaine bien plus large que celui de la création d’entreprise : il englobe la création d’activités nouvelles dans des contextes variés (on peut être entrepreneur en créant une nouvelle entreprise, mais aussi au sein d’une entreprise, d’une institution ou d’une association existantes). En ce sens, tous les immigrés sont des entrepreneurs, car il faut de la force, du courage, de la volonté, de la ténacité pour laisser derrière soi tout ce qui est familier et pour prendre des risques, parfois insensés, dans l’espoir d’un nouveau départ, et pour, en définitive, entreprendre un projet de vie.

Voilà pourquoi les immigrés sont une chance pour les pays qui les accueillent – on le constate tous les jours dans les domaines de la santé ou des emplois dits « invisibles » – et méritent que soient déployées des politiques d’intégration à la hauteur de leurs espérances.

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