Republicans Trapped by Their Own Extremism

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Les républicains piégés par leur extrémisme

Pour avoir fait de la criminalisation de l’avortement le coeur de leur projet politique depuis les années 1970, et pour avoir finalement réussi à faire invalider par la Cour suprême l’arrêt Roe v. Wade en juin 2022, les républicains se retrouvent pris au piège de leur dérive ultraconservatrice. C’est peu dire que la révocation de Roe v. Wade a fait l’effet d’un électrochoc dans l’opinion publique, dont les sondages disent les uns après les autres que les Américains pensent dans une proportion supérieure à 60 % que le droit à l’avortement devrait être reconnu dans la plupart des cas. Prisonniers de leur frange ultrareligieuse — et de Donald Trump —, les républicains, en idéologues déconnectés, ne prennent toujours pas la mesure de la mobilisation sociale et électorale que l’invalidation de Roe v. Wade a déclenchée, continuant de s’en tenir à des positions antiavortement extrémistes qui empestent le mépris des femmes et de leur santé.

Les signaux envoyés lors des élections de mi-mandat de novembre dernier auraient pourtant dû les sensibiliser aux risques qui leur pendaient au bout du nez. Mais ils y restent aveugles. Si les républicains ont réussi à regagner la majorité à la Chambre des représentants, ils ont fait autrement moins bien que prévu dans l’ensemble, d’une part pour cause de candidats radicaux et/ou incompétents adoubés par M. Trump, de l’autre pour cause de sanction électorale en représailles à l’invalidation de l’arrêt Roe qui protégeait depuis 50 ans le droit constitutionnel à l’avortement. De fait, l’un des résultats les plus frappants de ces législatives aura été que dans les États où des modifications à leur Constitution étaient proposées par référendum, la défense du droit à l’avortement l’a partout emporté. Les électeurs en Californie, au Michigan et au Vermont ont ainsi posé des gestes clairs et conséquents en choisissant d’inscrire dans leur Constitution le droit à l’avortement. Manifestation plus nette encore de la mobilisation que Roe a provoquée, deux États conservateurs, contrôlés par les républicains, le Montana et le Kentucky, ont voté contre des mesures plus restrictives.

Qu’à cela ne tienne, le Parti républicain persiste et signe contre tout bon sens électoral, attentant sans compromis partout où cela lui est possible, dans les assemblées législatives comme devant les tribunaux, à la liberté des femmes de choisir. Dans la foulée des élections de mi-mandat, son instance dirigeante, le RNC (Comité national républicain), avait invité les élus et les gouverneurs républicains à « adopter les législations pro-vie les plus fortes possibles ». Il a été largement entendu. L’État très antiavortement de l’Idaho a récemment promulgué une loi punissant de cinq ans de prison toute personne aidant une mineure à quitter l’État pour se faire avorter sans consentement parental. En Caroline du Sud, les républicains ont déposé un projet de loi faisant de l’avortement un meurtre, et donc passible de la peine de mort. En Floride, le gouverneur Ron DeSantis, rival attendu de Trump à l’investiture républicaine, s’apprête à signer une loi interdisant presque tout avortement après six semaines de grossesse. Ce avec quoi la majorité des Floridiens sont en désaccord, mais ce que commande le noyau dur et réactionnaire des militants républicains.

Sur le plan judiciaire, la récente décision d’un juge du Texas d’invalider l’utilisation de la pilule abortive, autorisée par l’Agence américaine des médicaments (FDA) depuis 23 ans et à laquelle ont recours 500 000 Américaines par année, vient encore illustrer l’amplitude des reculs qu’induit la décision de la Cour suprême. Soit, la FDA a porté appel comme il se doit. Reste qu’on se trouve ici en plein dévoiement autoritaire : partout et tout le temps, les républicains se servent des urnes et des tribunaux pour tenter d’imposer leurs vues antisociales et antidémocratiques. On ne peut pas vraiment se réjouir que ce soit un parti qui perd la boussole à l’avantage des démocrates. Puisqu’à perdre tout sens de la modération, à expulser comme ils viennent de le faire deux députés noirs de l’assemblée législative du Tennessee qui militaient pour le contrôle des armes alors que se multiplient les fusillades dans les rues américaines, c’est un parti qui gagne en dangerosité et en violence politique, condamné à défendre son pré carré par « gerrymandering ».

Une autre invitation à se recentrer lui a été envoyée pas plus tard que la semaine dernière, le jour même où Trump était mis en accusation à New York, par l’élection à la Cour suprême dans l’État pivot du Wisconsin de la juge pro-avortement Janet Protasiewicz, par une marge de 11 points, contre l’ultra Daniel Kelly. À ce qu’il reste de voix « modérées » chez les républicains voyant venir 2024, cette défaite donne froid dans le dos. « À nous enfoncer dans l’extrémisme, nous allons continuer à perdre », a prévenu Nancy Mace, une représentante de la Caroline du Sud. Il serait utile à la vie politique américaine, et pas qu’aux républicains, qu’elle soit entendue.

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