Conflit Israël-Hamas: «Pourquoi les États-Unis pèseront de moins en moins au Moyen-Orient
La difficulté de Joe Biden à faire entendre son souhait de voir un cessez-le-feu s’établir à Gaza est le résultat d’un désengagement des États-Unis d’un certain nombre de zones de conflit et, plus largement, d’un monde de plus en plus orientalisé, analyse le chercheur en relations internationales Sébastien Boussois.
Le retrait américain progressif d’un certain nombre de zones de conflit sur la planète avait été annoncé par l’ancien président Barack Obama lors de son arrivée à la Maison Blanche en 2008. C’était le début d’un long processus qui a complexifié la scène internationale depuis. Cela avait donc commencé par le départ des Américains d’Irak en 2010. Cela s’était poursuivi par un certain repli du temps du mandat de Donald Trump afin de recentrer la politique américaine avant tout sur ses intérêts propres au nom du «Make America Great Again». Cela s’était poursuivi avec Joe Biden, qui avait réalisé le retrait dans le chaos d’Afghanistan en 2021.
Depuis l’échec des accords de Camp David en 1999 du temps de Bill Clinton, Washington avait continué d’apporter un soutien total à Israël sans essayer de relancer les négociations de paix qui auraient pu conduire à l’établissement d’un État palestinien. La difficulté de Joe Biden à faire entendre son souhait de voir un cessez-le-feu s’établir à Gaza – face à un Netanyahou sourd à ses revendications – est le résultat de ce désengagement global de la question depuis deux décennies.
Aujourd’hui, il tente de revenir dans le jeu entre Israël et les Palestiniens. Mais aujourd’hui tout semble incontrôlable. Le soutien total de Washington à l’offensive israélienne à Gaza et son refus obstiné pendant plusieurs semaines d’appeler clairement au cessez-le-feu l’ont affaibli pour jouer à nouveau le rôle de médiateur. La reconnaissance de Netanyahou d’avoir délibérément renforcé le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne et un Mahmoud Abbas, considéré comme un «collaborateur» des Israéliens en matière de sécurité, n’ont apporté que plus d’incompréhension et de drames.
Les acteurs occidentaux traditionnels ont montré avec le temps leur impuissance à parvenir à ficeler un accord de paix définitif : il faut ajouter le passif historique, une arrogance mal perçue de l’autre côté de la planète, les échecs patentés de l’Europe comme des États-Unis sur de nombreux terrains de guerre, l’exportation de la démocratie et la lutte contre le terrorisme qui sonnent comme des postures clairement «impérialistes». Tout cela jouera hélas contre Israël dans ce monde de plus en plus orientalisé.
Nous fêtons cette annéeles 75 ans de l’État hébreu et cet anniversaire tombe très mal. Il y aurait sûrement mieux comme célébration que le retour de la guerre telle que nous la connaissons depuis plus d’un mois. Le pogrom qui a eu lieu le 7 octobre dernier contre 1400 Israéliens, et la riposte israélienne qui a suivi et qui à ce jour a fait plus de 10.000 morts, nous montrent plus que jamais qu’aucune solution militaire n’a conduit à ce jour à la paix. Pire : la radicalisation du paysage politique israélien affronte désormais l’islamisation de la question palestinienne, dans une impasse politique totale, laissant présager d’années à venir très douloureuses pour les deux sociétés si une désescalade ne survient pas rapidement pour relancer les négociations pour aboutir à une paix juste et durable. Cela signifie une paix juste et durable pour les deux sociétés : la sécurité pour Israël, et un État pour les Palestiniens. Sans cela, tous ces morts ne serviront encore une fois à rien. Cette guerre doit conduire rapidement à la prise de responsabilité à la fois des gouvernements israélien et palestinien, avec un appui international indispensable, pour éviter qu’à nouveau dans trois ans, de nouveaux morts s’ajoutent aux anciens. On le voit bien, les Américains historiquement négociateurs, et cette fois appuyés par le Qatar, peinent à se faire entendre.
Au fond, les États-Unis n’ont jamais osé modérer leur allié israélien, notamment sur la question de la colonisation des territoires, qui ont bloqué toute possibilité de relancer la question de l’État palestinien depuis des années. En plus de sept décennies, alors que le territoire palestinien est devenu peau de chagrin, le territoire israélien n’a eu de cesse de s’étendre au-delà des frontières prévues par les Nations unies, et bien au-delà de l’entendement pour qu’un État palestinien continu, contigu, et viable puisse voir le jour. Aujourd’hui, le non-respect de dizaines de résolutions des Nations unies par l’État hébreu, comme la colonisation des territoires palestiniens, a montré et montre encore à quel point le multilatéralisme est affaibli plus que jamais. Les États-Unis en sont aujourd’hui la première victime collatérale. Leur leadership est désormais largement contesté.
Ce système international issu de la fin de la Seconde Guerre mondiale, au nom du «plus jamais ça», a vécu. Il a été créé largement par les Occidentaux pour les Occidentaux et doit être réformé d’urgence pour intégrer les nouvelles diplomaties qui comptent sur la planète.
Informellement, le soutien des États-Unis, comme il l’a été avec Israël pourrait se compliquer dans les années à venir. Les nouvelles puissances orientales n’auront peut-être pas forcément le même intérêt dans la région. La Russie, déjà présente en Syrie ennemie, et la Chine jouent-elles un rôle majeur de blocage au Conseil de sécurité des Nations unies aux projets occidentaux pour la planète. Aujourd’hui, l’Amérique ne gagne plus une guerre et n’apporte plus une paix. Il suffit de lister quelques terrains dramatiques où Washington s’est cassé les dents pour le comprendre : le Vietnam, la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, etc. Pourquoi les Américains seraient-ils à nouveau le seul espoir des Israéliens et des Palestiniens ?
Le Sud Global emporté par de grandes puissances mondiales comme la Chine (qui a signé la «réconciliation» entre l’Iran et l’Arabie saoudite a surpris son monde cette année), la Russie et le Brésil, pourrait avoir une carte à jouer un jour, qu’on le veuille ou pas. Les pays du Moyen-Orient aussi pour gérer les crises de leur propre région : le Qatar, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Turquie notamment. Sur la question israélo-palestinienne, il risque d’y avoir l’émergence de nouveaux acteurs vierges qui pourront attirer la confiance des parties face à des États-Unis qui tentent encore d’avoir prise. Ou des acteurs qui au-delà de leur agenda, auront à offrir de sérieux gages pour faire passer «leur» paix.
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