Quand les républicains refusent de gagner
Il ne se passe pas un jour sans que les républicains parlent de l’incapacité de l’administration Biden à gérer la crise à la frontière américano-mexicaine, l’immigration étant leur chasse gardée. Mais alors qu’une solution bipartisane est sur la table, les républicains, inféodés à l’ex-président Donald Trump, refusent de se prononcer sur celle-ci, de peur de donner un gain politique à Joe Biden en cette année électorale.
Les détails de ce méga-accord, publiés dimanche, indiquent qu’il prévoit 60 milliards de dollars américains d’aide militaire pour l’Ukraine, 14 milliards d’aide militaire pour Israël, 10 milliards en aide humanitaire à l’Ukraine, à Israël et à la bande de Gaza ainsi que 20 milliards pour la sécurité des frontières.
Ce dernier volet de l’accord bipartisan, auquel ont travaillé un trio de sénateurs en collaboration avec la Maison-Blanche, donnerait au président des pouvoirs étendus pour réprimer les franchissements illégaux de la frontière, y compris l’autorité de refouler les migrants sans leur permettre de demander l’asile.
L’accord préserverait aussi le traitement des demandes d’asile aux postes-frontières officiels et permettrait aux migrants qui passent l’étape de l’entrevue d’admissibilité à une demande d’asile de travailler légalement aux États-Unis.
La bipartisanerie mal vue par les républicains
Cette entente a été négociée par le sénateur républicain James Lankford, le sénateur démocrate Chris Murphy, la sénatrice indépendante Kyrsten Sinema et de hauts responsables de l’administration Biden après que les législateurs républicains eurent exigé des restrictions à la loi américaine sur l’asile en échange d’un soutien accru à l’aide militaire à l’Ukraine.
Ce compromis bipartisan constituerait la première mise à jour majeure du système d’immigration américain depuis les années 1990, lorsque le Congrès a adopté pour la dernière fois une loi d’envergure sur l’immigration. Tant les républicains, qui disent continuellement vouloir attaquer le problème de l’immigration à la frontière, que les démocrates ont donc refusé de faire bouger les choses dans ce dossier depuis des décennies.
L’accord peut être difficile à avaler pour certains démocrates, puisque cela représente un virage complet de Joe Biden en matière d’immigration. Lui qui avait promis de « restaurer » le système d’asile américain et de démanteler les politiques frontalières de l’ère Trump qui, disait-il, « contrevenaient à nos valeurs et causaient des souffrances humaines inutiles, » est prêt à faire des concessions pour que l’adoption de cet accord soit possible.
Des progressistes craignent que ces changements donnent aux futurs présidents – comme Donald Trump, s’il gagne en novembre – une marge de manœuvre dangereuse pour stopper le traitement des demandes d’asile.
Une proposition pourtant majeure
Il reste que cet accord négocié par la Maison-Blanche constituerait l’une des lois les plus strictes de l’histoire moderne en matière de frontières et d’immigration et ne légaliserait le statut d’aucune des quelque 11 millions de personnes immigrées vivant aux États-Unis sans autorisation.
Le président démocrate a déclaré, lors d’un événement de campagne en Caroline du Sud, que si on lui en donnait le pouvoir, il « fermerait la frontière tout de suite » et « y remédierait rapidement ».
De plus, si ce projet de loi est adopté par le Congrès et signé par le président, le gouvernement fédéral disposera d’une nouvelle autorité d’urgence pour refouler la plupart des migrants lorsque les passages à la frontière méridionale atteindront certains seuils.
De quoi satisfaire en temps normal républicains et conservateurs, en montrant une volonté d’essayer de régler la crise à la frontière tout en empochant une victoire politique aux dépens de Joe Biden. Mais nous ne sommes pas en temps normal.
« Pas question », ordonne Trump
Donald Trump, qui s’insurge contre la législation depuis des semaines, a lancé une offensive dans une série de messages sur Truth Social, afin de décourager tout élu républicain qui pourrait être en faveur de l’accord de voter.
« Seul un imbécile, ou un démocrate de gauche radicale, voterait pour cet horrible projet de loi sur la frontière qui ne donne le droit de fermer la frontière qu’après 5000 rencontres par jour, alors que nous avons déjà le droit de FERMER LA FRONTIÈRE MAINTENANT, ce qui doit être fait ».
« Ne soyez pas stupides! Nous avons besoin d’un projet de loi distinct sur les frontières et l’immigration. Il ne doit pas être lié à l’aide étrangère, de quelque manière que ce soit! Les démocrates ont “cassé” l’immigration et la frontière. Ils devraient les réparer », a-t-il renchéri.
Par ricochet, le leadership républicain à la Chambre des représentants a alors publié une déclaration : « Tout examen du projet de loi du Sénat dans sa forme actuelle est une perte de temps. Il est MORT à son arrivée à la Chambre des représentants. Nous encourageons le Sénat américain à le rejeter ».
L’immigration, le gagne-pain politique de Trump
Ce n’est un secret pour personne, l’ancien président Donald Trump, favori de la course à l’investiture républicaine, souhaite relancer sa campagne de 2016 en faisant de la peur des migrants (et des caravanes, souvent montrées par Fox News) son cheval de bataille électoral.
Le fait qu’il a exprimé son opposition à tout accord qui pourrait permettre à Joe Biden de remporter un succès politique à moins de neuf mois de la présidentielle n’est pas surprenant de sa part. Il veut que le gouvernement actuel ait l’air faible, paralysé et inefficace.
Dans le sillage de Donald Trump, la droite républicaine a multiplié les déclarations fracassantes. Le sénateur du Texas Ted Cruz a qualifié l’accord proposé « de tas de merde puant ». Les sénateurs Rick Scott, Mike Lee, Ron Johnson et d’autres se sont joints à M. Cruz pour fustiger le projet de loi. Même le républicain James Lankford, qui a joué un rôle clé dans les négociations, a fait de même.
Celui-ci s’est défendu sur les ondes de Newsmax : « Je rappellerais aux gens que pendant l’administration Trump, nous avons également eu des jours où plus de 4000 personnes traversaient illégalement la frontière, en 2019, et qu’il y avait des lacunes et des failles dans la loi ».
M. Lankford a aussi dénoncé l’immobilisme politique de ses collègues républicains.
« Si, il y a deux mois, j’avais dit que, sous un président démocrate, nous avions la possibilité de verrouiller la frontière, personne ne l’aurait cru. Et aujourd’hui, personne ne veut essayer de résoudre ce problème ».
Résultat, même si un premier vote sur l’accord est prévu mercredi au Sénat, le républicain Mike Johnson a déjà fait savoir que la proposition ne sera même pas mise sur la table à la Chambre des représentants, tuant ainsi dans l’œuf toute possibilité de réforme de l’immigration avec cette entente.
D’habitude, les dirigeants de la Chambre des représentants ne présentent pas un projet lorsqu’ils savent qu’ils n’ont pas les voix nécessaires pour l’adopter. On a souvent vu des accords retirés au dernier moment pour éviter un échec. Dans le cas du projet de loi sur les frontières, les républicains ne le présenteront pas pour la raison probablement inverse, c’est-à-dire qu’il est toujours possible qu’il soit adopté avec un soutien bipartisan.
Diversion politique
Que propose la majorité républicaine à la Chambre alors pour débloquer la situation? Difficile à savoir. En attendant, les républicains pourraient voter sur la résolution de destitution du secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, vu par ceux-ci comme le responsable de tous les maux à la frontière.
Le président américain voit cette mise en accusation du secrétaire Mayorkas comme « un acte de vengeance politique sans précédent et inconstitutionnel qui ne contribuerait en rien à résoudre les problèmes auxquels notre pays fait face pour assurer la sécurité de ses frontières ».
Certains républicains ont exprimé le sentiment que cette procédure n’avait aucun fondement et était ridicule, puisqu’aucun crime ou délit n’a été commis par M. Mayorkas, et qu’elle serait même contre-productive pour la cause républicaine.
De son côté, Joe Biden a déclaré que son administration continuerait à travailler avec le Congrès pour trouver des solutions permettant de sécuriser la frontière et de renforcer un système d’immigration accablé par un nombre record de passages.
Une mission qui, si l’on se fie au refus de compromis des républicains favorables à Donald Trump, sera vouée à l’échec, gracieuseté de l’emprise de M. Trump sur le parti, en pleine année présidentielle.
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