American Voters Mired in Déjà Vu

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Les électeurs américains embourbés dans le déjà-vu

L’emprise de Donald Trump sur la sphère et la machine républicaines est multiforme, tentaculaire.

Emprise sur la majorité de ses électeurs, ainsi que l’ont confirmé les primaires tenues dans 15 États à l’occasion du Super Tuesday — suivies de l’annonce de Nikki Haley, mercredi matin, de finalement se retirer de la course à l’investiture.

Emprise sur le parti lui-même, alors que deux de ses hommes liges sont sur le point de mettre la main sur la direction du Comité national républicain, dont les instances, rappelons-le, considèrent que l’attaque du 6 janvier 2021 sur le Capitole constitue un « discours politique légitime ». Emprise sur les deux chambres du Congrès : à la Chambre des représentants, où une poignée d’élus MAGA arrive à imposer sa loi par stratégie de nuisance ; au Sénat, où la minorité trumpiste, bientôt débarrassée du vieux chef de file républicain Mitch McConnell, de frêle santé, compte bien se rendre à son tour incontournable.

Emprise, enfin, par mariage de raison idéologique, sur la majorité conservatrice de la Cour suprême, qui vient de se rendre doublement utile à Trump : d’abord, en invalidant la semaine dernière la décision du Colorado de le disqualifier de la primaire de l’État ; ensuite, et surtout, en tardant à se prononcer sur la question de son « immunité présidentielle », ce qui se trouve à bloquer l’ouverture des procès lancés contre lui pour tentative de modification des résultats de l’élection de 2020 en sa faveur.

Les Américains étaient mardi, jour pour jour, à huit mois de la présidentielle du 5 novembre, sur fond de sondages nationaux qui placent Trump et Biden au coude-à-coude à l’échelle nationale, ou bien Trump légèrement en tête. Entre un Trump à l’esprit délirant et un Biden qui ne trompe personne à tenter de faire semblant que son grand âge ne le ralentit pas, le match revanche imposé aux électeurs las ne présente pas les signes d’une démocratie en santé.

Les primaires démocrates de mardi ayant également couronné le candidat Biden, du reste seul en lice, par des marges non moins sensationnelles que celles obtenues par Trump, l’apparente limpidité des résultats est trompeuse. Ce « super mardi » soulève au fond autant de questions qu’il apporte de réponses. Il préfigure à nouveau un résultat d’élection présidentielle extrêmement serré.

Le simplisme populiste de M. Trump porte, manifestement : ses disciples le vénèrent par affinités victimaires et revanchardes. Ses épouvantables propos antimigrants lui sont un cri de guerre. Il marque des points contre Biden sur la question toujours épineuse de l’inflation. Une certaine amnésie collective fait oublier le chaos de sa présidence et fait qu’une frange d’électeurs indépendants ayant appuyé Biden en 2000 est aujourd’hui disposée à changer de camp. Sur le plan financier, il pourra peut-être bientôt compter sur les milliards d’Elon Musk pour faire campagne.

La grande question reste de savoir pour qui voteront le 5 novembre prochain, si tant est qu’ils iront voter, les quelque 30 % d’électeurs (indépendants et républicains plus modérés des villes et des banlieues) ayant appuyé Mme Haley — qui ne s’est d’ailleurs pas explicitement ralliée à M. Trump mercredi matin, au moment de « suspendre » sa campagne. Le petit Vermont, le seul État où elle l’a emporté mardi, est un symptôme des vulnérabilités de l’ex-président à l’échelle nationale.

Côté démocrate, l’âge de M. Biden (81 ans) est en train de devenir l’enjeu principal pour un certain nombre d’Américains, y compris parmi les démocrates, en dépit du fait que son adversaire, données autrement capitales, est un homme instable sur lequel pèsent 91 chefs d’accusation. Et malgré le fait que l’économie américaine retombe après tout sur ses pieds et qu’ont par ailleurs été défendues sous cette présidence des politiques sociales et environnementales méritoires.

Se posent néanmoins d’indéniables questions sur la capacité de la machine démocrate à rassembler la large coalition qui a permis à M. Biden de l’emporter en 2020, en particulier parmi les jeunes de l’aile progressiste du parti. Un défi mis en évidence par l’ampleur du vote « non engagé » (uncommitted) enregistré dans plusieurs États, notamment au Michigan et au Minnesota, en guise de protestation contre l’appui aveugle de la Maison-Blanche à Israël. Qu’une fraction des électeurs qui forment la coalition démocrate boudent le scrutin du 5 novembre, votent pour un candidat tiers ou encore cèdent aux sirènes républicaines, et cette désertion pourrait changer l’issue dans les États où la présidentielle va se jouer dans un mouchoir de poche.

C’est dans ce contexte compliqué et de division que M. Biden, avec lequel les démocrates se solidarisent non sans perplexité, prononcera jeudi soir au Congrès son dernier discours sur l’état de l’Union avant la tenue de la présidentielle. Un exercice où il brandira inévitablement la menace trumpiste, plantant les thèmes de sa campagne électorale, mais face auquel les Américains, à l’écouter, risquent de porter moins attention aux propos qu’au manque d’aplomb de celui qui les prononcera.

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