The Most Crucial Legal Case of 2024

<--

La cause judiciaire la plus cruciale de 2024

La liberté d’expression et la responsabilité des Facebook (Meta) et X de ce monde à l’égard de la désinformation qu’elles laissent prospérer sur leurs plateformes se joueront devant la Cour suprême des États-Unis.

Lorsqu’on pense aux affaires judiciaires les plus importantes de 2024, celles impliquant Donald Trump nous viennent naturellement en tête. L’ex-président sera-t-il déclaré coupable avant l’élection de novembre ? Aura-t-on un premier président officiellement reconnu par la justice comme un criminel ?

Ce sont là de lourdes questions. Reste qu’elles pourraient avoir dans les faits moins de portée qu’un dossier nettement moins médiatisé sur lequel la Cour suprême se penche cette semaine.

Dans Murthy c. Missouri, la Cour doit déterminer ce que le gouvernement a le droit de faire — et ce qu’il ne peut pas faire — au nom de la lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux. Cinq utilisateurs de réseaux sociaux et deux États — le Missouri et la Louisiane — se plaignent que le retrait de certaines de leurs publications sur des plateformes sociales a eu lieu à la suite de pressions d’autorités du gouvernement fédéral.

Selon le premier amendement de la Constitution américaine garantissant le droit à la liberté d’expression, il est explicitement interdit à l’État de limiter la liberté de parole.

Qu’un réseau social (une entreprise privée) choisisse de ne pas publier tel ou tel propos est permis ; mais que le gouvernement lui force la main pour qu’il supprime ou contrôle ces mêmes propos constitue de la censure. C’est la censure qui est interdite.

La question devant la Cour est de savoir si l’administration Biden, dans ses premiers mois en fonction, a franchi la ligne de la censure en faisant pression sur des réseaux comme Facebook et X (Twitter) pour qu’ils éliminent certains messages publiés par leurs utilisateurs sur des sujets comme l’élection présidentielle et la pandémie de COVID–19, messages qui, selon l’administration, constituaient de la désinformation.

Cette cause est sans doute la plus lourde de conséquences parmi celles sur lesquelles le plus haut tribunal du pays sera appelé à se prononcer d’ici la fin de son mandat annuel, en juin. Car cette décision fixera les paramètres du débat public aux États-Unis — rien de moins.

Entre lutte contre la désinformation et censure

Un des aspects les plus regrettables de l’hyperpolarisation du débat public, notamment sur les réseaux sociaux, est l’opposition artificielle fréquemment créée entre deux positions qui ne sont, dans les faits, pas si éloignées l’une de l’autre.

D’une part, la désinformation est un problème réel sur les réseaux sociaux. Certaines théories du complot se répandent comme une traînée de poudre alors qu’elles sont objectivement fausses — par exemple, tout récemment, cette idée absurde selon laquelle il y aurait une vaste conspiration entre la Maison-Blanche, la campagne de réélection de Joe Biden, la NFL et la chanteuse Taylor Swift.

Par contre, plusieurs des idées et des messages considérés à l’origine comme de la « désinformation » par des autorités gouvernementales et souvent supprimés des réseaux sociaux au cours des dernières années étaient soit des opinions politiques légitimes, soit des informations probablement vraies — par exemple, la possibilité que le virus à l’origine de la pandémie ait été créé en laboratoire et se soit échappé par accident.

Quels sont donc le plus grand risque et le plus grand mal : permettre la dissémination de fausses informations ou alors supprimer de vraies informations ?

En principe, moins on donnera les coudées franches au gouvernement pour filtrer le contenu des réseaux sociaux, plus le risque de désinformation augmentera ; et plus on lui donnera les coudées franches, plus le risque de se priver de certaines informations et opinions valables s’accroîtra.

L’évolution du contrôle du contenu

L’histoire de la « modération de contenu » sur Internet est aussi méconnue que fascinante. Il y a à peine un peu plus d’une décennie, un Internet « libre » était vu de façon positive par le gouvernement américain.

Dans le contexte du printemps arabe, en 2011, le Web et les réseaux comme Facebook étaient considérés comme des outils extraordinaires et inédits permettant aux citoyens de pays autoritaires de se mobiliser contre les régimes en place (des régimes par ailleurs souvent opposés aux États-Unis). Restreindre la parole sur Internet était synonyme d’autocratie ; ne pas la restreindre était associé à la démocratie.

À peine quelques années plus tard, dans la même région du monde (cruelle ironie), la montée du groupe État islamique, qui exploitait Internet à des fins de propagande et de recrutement, a mené au début des pressions du gouvernement américain sur les réseaux sociaux pour qu’ils contrôlent de plus en plus ce qui est diffusé sur leurs plateformes.

Une fois la sécurité nationale invoquée pour lutter contre des menaces externes telles que Daech, la prochaine étape logique était de s’en servir comme argument pour lutter contre des menaces internes comme la remise en question du système électoral américain.

Et, au fil des années, les liens entre l’appareil américain de sécurité nationale et les réseaux sociaux sont devenus tels qu’il existait des canaux de communication directs et secrets entre le FBI et la haute direction de Twitter.

Or, la question demeure : où, exactement, se situe la ligne entre des communications autorisées entre l’État et un réseau social et des tentatives de coercition tombant dans la censure ? C’est ce que la Cour doit établir.

Le problème de fond

Si le dossier semble aussi épineux, si un tel flou règne, c’est que les réseaux sociaux jouissent des avantages des médias traditionnels (la liberté d’exercer une discrétion éditoriale en filtrant le contenu de leurs utilisateurs) sans avoir à en porter la responsabilité juridique (relativement aux lois contre la diffamation ou les propos haineux, par exemple).

Lors de la présentation de la cause devant la Cour lundi, la juge Ketanji Brown Jackson, nommée par le président Biden, a posé une question intéressante : que devrait faire le gouvernement si des utilisateurs des réseaux sociaux publiaient des messages mettant des enfants au défi de se lancer par la fenêtre d’un immeuble ?

Or, si la question se pose, c’est précisément en raison de ce traitement de faveur que toutes les administrations ont réservé aux géants du Web depuis leur naissance. Car si de tels propos étaient tenus dans des médias traditionnels et que des enfants mouraient en se jetant dans le vide, ces médias se feraient poursuivre. Les réseaux sociaux, eux, sont de facto protégés de toute poursuite de ce genre par une loi adoptée en 1996.

Lorsque Internet est apparu sur une base commerciale importante dans les années 1990, le gouvernement américain a vu d’un mauvais œil l’idée de trop l’encadrer, de peur de tuer dans l’œuf une industrie prometteuse.

Le problème aura été pelleté par en avant — et semble aujourd’hui impossible à résoudre de façon satisfaisante. Le jugement de la Cour suprême ne réglera pas la question de fond, soit établir une fois pour toutes si les réseaux sociaux sont des plateformes OU des médias. Pour ce faire, il faudrait une volonté politique de réellement affronter ces géants. Et cette volonté n’existe actuellement pas.

About this publication