Cuba and Joe Biden’s Tragic Mistake

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Cuba et la navrante erreur de Joe Biden

Fragilisé, Joe Biden a finalement renoncé à se présenter à la présidentielle de novembre et a annoncé dimanche qu’il appuierait Kamala Harris. Son mandat se terminant en catastrophe, les bilans vont s’enchaîner. Cet éditorial, écrit quelques jours avant l’annonce de M. Biden, se trouve à faire celui, négatif, de ce que fut sous sa présidence la relation des États-Unis avec Cuba.

On pourra compter parmi les décisions les plus déplorables prises par Joe Biden en politique étrangère son refus de rétablir les ponts qu’avant lui Barack Obama avait construits avec Cuba et que Donald Trump s’est empressé de démolir quand il est devenu président en janvier 2017.

En visite historique à La Havane en mars 2016, à la fin de son second mandat, et dans un contexte où les Castro sont en fin de règne, Obama déclare vouloir « enterrer les derniers vestiges de la guerre froide dans les Amériques ». Les restrictions américaines sur les liaisons aériennes sont allégées, et les deux pays rouvrent leur ambassade à Washington et à La Havane. Cuba est retirée de la liste des États soutenant le terrorisme et est autorisée, décision capitale et capitaliste, à faire des affaires avec les banques américaines, clés de voûte du système financier international. Le virage est fondamental, même si l’embargo économique imposé depuis 1962 contre le régime autoritaire cubain n’est pas nommément levé. Se trouve écornée la politique d’étranglement étayée par le diplomate américain Lester D. Mallory dans un mémorandum daté du 6 avril 1960, préconisant de « dénier fonds et approvisionnements à Cuba afin de faire baisser les salaires, de créer une crise alimentaire, de susciter le désespoir et de provoquer le renversement du gouvernement ».

Sous l’influence de politiciens de la Floride, comme Marco Rubio, et du toujours influent lobby cubano-américain et anti-castriste de Miami, Trump a rétabli les restrictions de voyage et reverrouillé l’accès aux banques américaines. Quelques jours seulement avant de quitter la Maison-Blanche en janvier 2021, il a refait de Cuba un pays qui « soutient le terrorisme ». Avec le résultat que, 62 ans plus tard, « el bloqueo » (le blocus) reste en place — et que le Parti communiste de Cuba tient toujours, malgré tous les coups.

Si Cuba passe à peu près complètement sous le radar des actualités, il se trouve qu’il est aujourd’hui dans un état de détérioration économique et sociale plus grave encore que celui qui avait suivi l’effondrement du grand frère soviétique au début des années 1990.

Interminables coupures d’électricité, inflation galopante, graves pénuries d’essence, de médicaments et d’aliments de base (poulet, riz, farine…) : il manque de tout. L’État est exsangue, le secteur agricole s’est effondré et celui du tourisme, principale source de devises de l’île, ne s’est pas relevé de la pandémie de COVID-19. A déferlé une vague migratoire tenant du sauve-qui-peut : quelque 500 000 Cubains, sur une population de 11 millions, auraient atteint les États-Unis entre 2022 et 2023, surtout par bateau jusqu’à la côte floridienne, sinon à pied en passant par le Nicaragua où ils peuvent entrer sans visa depuis 2021.

Le gouvernement emmené par le président Miguel Diaz-Canel a fait voter par le Parlement la semaine dernière un plan d’action détaillé de « relance économique » qui tient nécessairement de la pensée magique, vu l’insuffisance de moyens. La faim tuant la peur, pour reprendre les mots d’un journaliste cubain en exil, la colère populaire grandit — et s’organise de manière inédite autour de l’accès à Internet — contre un régime qui, à la clé, l’étouffe par répression démesurée. Des manifestations ont encore été rapportées dans des villes du sud-est de l’île, en mars. Trois ans après celles du 11 juillet 2021, les plus grandes à se dérouler en trente ans, 1000 prisonniers politiques seraient encore sous les verrous, avec des peines pour certains d’entre eux allant jusqu’à 25 ans.

La Havane a forcément beau jeu de dénoncer les États-Unis et « la mafia de Miami » pour ses misères et celles du peuple. L’embargo a le dos large, et le régime cubain ne se prive pas de l’instrumentaliser. Il n’en reste pas moins que, si la vie des Cubains est aujourd’hui aussi impossible, el bloqueo en est objectivement responsable. De l’embargo à la migration massive, il y a un lien de cause à effet qui saute aux yeux.

Que M. Trump, avec sa vulgate anticommuniste, reprenne le pouvoir le 5 novembre prochain, et cela ne fera que creuser ces dynamiques délétères. La grand-messe réactionnaire qu’ont tenue la semaine dernière les républicains à Milwaukee ne peut qu’avoir semé l’effroi chez un grand nombre de Cubains, tant leur sort demeure lié aux considérations électorales qui opèrent dans l’État clé de la Floride. Longtemps acquis aux démocrates, cet État a viré républicain aux présidentielles de 2016 et 2020, alors que Trump l’avait emporté jusque dans le château fort démocrate du comté de Miami-Dade. Le vote des électeurs cubano-américains y est pour beaucoup dans ce basculement. Les perspectives sont aujourd’hui d’autant plus sombres que, dans un contexte où le trumpisme a normalisé l’extrême droite, des militants du groupe néofasciste Proud Boys, acteur de premier plan de l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole, siègent maintenant au sein de l’exécutif du Parti républicain dans Miami-Dade.

Par irrésolution et calculs électoraux, Joe Biden n’a pas suivi les traces d’Obama. Il aura bien mal fait les choses sur la question cubaine.

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