6 janvier 2021, prise 2
Après avoir subi le désaveu de la Cour suprême des États-Unis, le procureur spécial Jack Smith est revenu à la charge cette semaine en déposant une version modifiée de l’acte d’accusation visant l’ex-président Donald Trump pour sa tentative d’inverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020. C’est le procès du 6 janvier, prise 2.
Le candidat criminel a déjà fait l’objet d’une condamnation, à New York, pour 34 infractions liées à l’achat du silence de l’actrice porno Stormy Daniels. Il cherche désespérément à annuler la condamnation et à retarder le prononcé de la sentence d’ici le scrutin du 5 novembre prochain.
La « relance » du procès criminel relatif à l’insurrection du Capitole est un bel euphémisme. Ce procès n’ira nulle part d’ici le scrutin. L’élection de Trump, qui demeure une probabilité réaliste, ce qui est en soi irréel considérant son irréformable caractère antidémocratique, sonnerait l’arrêt de mort des procédures. Sa défaite ne rendrait pas le procès à venir plus simple pour autant, gracieuseté de la Cour suprême des États-Unis.
Dans un arrêt à cheval sur la frontière idéologique qui sépare les juges conservateurs des progressistes, la Cour a accordé en juillet dernier l’équivalent d’un brevet d’innocence à un président dans l’exercice de ses fonctions, en l’occurrence Donald Trump dans le costume sans étoffe du harangueur en chef des émeutiers du 6 janvier 2021. Le plus haut tribunal du pays a jugé que le président bénéficiait d’une immunité presque totale pour des crimes commis dans l’exercice de ses fonctions, ouvrant la voie définitive à l’ère de la présidence impériale aux États-Unis pour tous les locataires passés ou futurs de la Maison-Blanche.
Le dépôt d’un acte d’accusation révisé par le procureur Jack Smith est une tentative de sauver du naufrage l’acte d’accusation, tout en se conformant aux prescriptions de la Cour suprême. Le document incriminant est ainsi passé de 45 à 36 pages, bien que les quatre accusations initiales restent intactes.
La trame narrative derrière les efforts de Donald Trump pour empêcher la certification du vote et renverser le résultat électoral à sa faveur est tout de même amputée de passages importants. Ainsi, les appels du pied de Donald Trump auprès du département de la Justice pour qu’il lance des enquêtes bidon sur les fraudes électorales ou pour qu’il fasse pression sur des États clés ne font plus partie de l’histoire officielle du 6 janvier. Les conversations avec le personnel politique et les avocats de la Maison-Blanche passent aussi à la trappe. Il s’agit maintenant d’actes officiels commis par un président dans l’exercice de ses fonctions.
C’est dire le dommage que la Cour suprême des États-Unis a causé au principe des pouvoirs et contre-pouvoirs, si important pour la vitalité de la démocratie américaine. Les futurs présidents pourront aisément instrumentaliser le département de la Justice à des fins politiques sans être inquiétés de leurs gestes, sinon qu’aux yeux de l’électorat.
L’arrêt insensé de la Cour suprême n’a pas empêché le procureur Smith de préserver le coeur de la théorie de la poursuite. Les mensonges et les appels tonitruants au soulèvement de Trump sur les réseaux sociaux, ses pressions sur l’ex-vice-président Mike Pence et ses tentatives farfelues visant à remplacer les grands électeurs de la Géorgie par des partisans complaisants demeurent tous au coeur du dossier.
D’une certaine mesure, le complot est permanent chez Donald Trump et ses partisans. Ils échafaudent encore et toujours des théories conspirationnistes sur le vol de l’élection de 2020 et la fraude à grande échelle du camp démocrate. C’est une figure constante dans la rhétorique trumpiste : reprocher et imputer à l’adversaire, sans preuves, les faits et gestes commis par son propre camp.
Dans les dernières semaines, Trump a encore accusé la « gauche radicale démocrate » d’avoir triché et volé l’élection de 2020. Il a aussi mis des bémols à sa capacité de reconnaître une éventuelle défaite… « parce qu’ils trichent ». La confiance à l’égard du système électoral est la première victime de cette campagne insidieuse.
Cette fabuleuse supercherie a pris des allures inattendues avec le couronnement de Kamala Harris à la convention démocrate. Trump évoque maintenant un coup d’État subi par le pauvre Joe Biden, puisque ce dernier avait été désigné candidat au suffrage universel à l’issue des primaires démocrates. Peu importe que l’argument soit fondé ou non, si Trump est battu, il trouvera des marionnettes en toge pour plaider que le transfert des délégués de Joe Biden à Kamala Harris, sur le plancher de la convention démocrate, relevait de l’illégalité.
En fait, il n’y a qu’une seule élection que Donald Trump est prêt à reconnaître : la sienne. Sous une forme ou une autre, nous aurons droit à un remake du 6 janvier s’il perd. Dans un pays aussi polarisé et divisé que les États-Unis de 2024, jamais l’électeur centriste et modéré n’aura été aussi important. Les clés de l’édifice démocratique sont entre ses mains.
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