Prêts pour l’effet Trump?
Je suis au regret de vous informer, chers lecteurs, qu’il faut commencer à vous préparer intellectuellement, et émotivement, à la réelle possibilité que nos voisins du Sud élisent Donald Trump le 5 novembre prochain. Il y a un scénario où il pourrait gagner en trichant. Si le calcul d’une majorité de grands électeurs repose sur la Géorgie, ses sbires se sont organisés pour pouvoir refuser de certifier l’élection dans cet État, et donc forcer le Congrès à constater qu’il n’y a pas de gagnant. Dans ce cas, la Constitution a prévu un plan B : le président est élu à la majorité des États représentés à la Chambre des représentants, ce qui donnera la victoire à Trump — même si la majorité des sièges est occupée par des démocrates. C’est que l’on compte par État, pas par siège.
Je tiens à ce que vous intégriez aussi la possibilité, réelle, que Trump gagne sans tricher. Qu’il obtienne suffisamment de votes dans les États pivots pour être déclaré vainqueur le soir même de l’élection. J’ai jugé que vous auriez besoin d’un préavis raisonnable. C’est dans 38 jours.
On ne peut évidemment pas tout prévoir, mais les engagements pris par le candidat Trump pourraient avoir des conséquences importantes et immédiates, donc avant même qu’il soit assermenté, en janvier prochain.
Un grand afflux de demandeurs d’asile. Trump s’est engagé à répétition à procéder au « plus grand programme d’expulsion de l’histoire du pays ». Il parle surtout des immigrants illégaux. Officiellement, on en comptabilise environ 12 millions, installés cumulativement depuis des décennies. Ils ont pour la plupart des emplois et des enfants.
Combien veut-il en expulser ? Il parle de « centaines de milliers » et vise aussi des immigrés qui sont légalement accueillis aux États-Unis selon une procédure d’urgence, ce qui touche près d’un demi-million d’Haïtiens, notamment les 15 000 de Springfield, en Ohio, que Trump promet d’expulser en priorité. (Incertain sur leur provenance exacte, il a menacé de les envoyer au Venezuela.)
La mise en oeuvre de ce programme prendra beaucoup de temps et sera contestée devant les tribunaux. Mais on peut s’attendre à ce que des dizaines de milliers de ces migrants n’attendent pas sagement la rafle des agents de l’immigration et fassent leurs valises dès après l’élection de Trump. Leur destination la plus logique est évidemment le Canada et, pour les quelque 500 000 Haïtiens, le Québec.
La chute de la valeur du dollar canadien. Puisque Trump a promis d’imposer un tarif douanier de 20 % à la totalité des importations, y compris canadiennes, les marchés n’attendront pas l’adoption de la mesure avant de réagir. Ils appellent ça « escompter ». Donc « il est clair qu’au départ, la valeur du dollar canadien, m’a confié l’économiste Pierre Fortin en utilisant un terme un peu technique, prendrait une méchante débarque ». Les marchés escompteraient que cette surtaxe sur nos exportations va nuire à la totalité de notre économie, donc à la valeur de notre dollar.
Cette chute de la devise aurait plusieurs effets. Si la chute était de 20 %, elle rétablirait la compétitivité de nos produits, taxés de 20 %. Cependant, toutes nos importations de produits américains nous coûteraient 20 % plus cher, ce qui relancerait significativement l’inflation chez nous. Notre banque centrale voudrait resserrer le crédit, et on pourrait dire adieu à la baisse des taux d’intérêt hypothécaires. Les touristes américains pourront venir nous visiter à prix d’aubaine, mais nos Snowbirds devront se serrer la ceinture.
Évidemment, la classe d’affaires américaine est opposée à cette proposition de tarifs, qui provoquerait une guerre commerciale. Il est hasardeux de tabler sur un changement de position de Trump. Il continue de penser que les tarifs sont payés par les producteurs étrangers, ce qui est faux, plutôt que par les consommateurs américains, ce qui est vrai. Il a même évoqué l’idée d’abolir l’impôt sur le revenu des particuliers, qui rapporte 2,2 milliers de milliards de dollars au Trésor américain, et de compenser cette perte par les revenus générés par les tarifs, dont la somme totale est de 0 dollar.
Une camisole de force fiscale. Notre capacité d’adopter un taux d’imposition raisonnable à nos entreprises (et à nos millionnaires) est tributaire des taux imposés par notre voisin du Sud. Lorsqu’on combine l’impôt fédéral et celui des États — et des provinces —, le taux global actuel sur les profits des entreprises chez eux et chez nous est équivalent. Mais Trump s’est engagé à réduire de 21 à 15 % son taux fédéral. Ce qui obligera Ottawa et les provinces à faire de même. Et à se priver de revenus.
À quelque chose malheur est bon. Des politiques de Trump nous feront aussi faire de jolies économies.
Moins d’argent pour Northvolt. Les sommes promises par Ottawa et Québec à Northvolt et aux autres producteurs de batteries sont directement — et contractuellement — liées à la générosité dont a fait preuve le gouvernement Biden. Trump a juré de mettre un terme à tout le programme d’aide américain aux énergies vertes. Ce sera une aubaine pour nos finances.
Moins d’argent pour l’Ukraine. Depuis l’invasion russe en Ukraine, le Canada a déboursé, ou s’est engagé à débourser, 4,5 milliards de dollars. Puisque Trump jure de « régler le conflit en 24 heures » et avant même d’être intronisé président, Ottawa pourra fermer le robinet. On pense évidemment que Trump proposera que Poutine garde le territoire ukrainien qu’il a déjà conquis. Le président ukrainien Zelensky aura beau protester, l’arrêt du soutien militaire américain, indispensable à la poursuite de la guerre, l’obligera à hisser le drapeau blanc. Les Européens ne pouvant compenser le retrait de l’aide américaine, chacun pourra respirer, en attendant de savoir quel pays Poutine envahira ensuite. (Je parie sur les pays baltes.)
Moins d’argent pour l’environnement. Puisque Trump se retirera (encore !) de l’Accord de Paris, et annulera la quasi-totalité des budgets environnementaux américains, cela aura un effet d’entraînement sur d’autres États pollueurs. Un futur premier ministre Poilievre se verra totalement justifié d’en faire aussi peu que Trump, au nom de la compétitivité canadienne. Bon, la planète se réchauffera plus rapidement encore, mais on commence à s’y habituer, non ?
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