La vérité «alternative» du 6 janvier
Une transition harmonieuse du pouvoir ressemble à ça. La candidate déchue Kamala Harris a procédé à la certification du vote en sa qualité de vice-présidente sortante, une avanie du destin. En quelques secondes, l’affaire était jouée, et la réélection de Donald Trump, après un hiatus — trop court — de quatre ans, était confirmée. Ni morts, ni blessés. Ni meute écervelée enfonçant les portes du Capitole pour empêcher la procédure, ni vandalisme. Ni menaces de mort contre les représentants élus, ni stratégies machiavéliques de la perdante pour faire changer le résultat.
Une transition harmonieuse du pouvoir ressemble à la grâce des démocrates. Vous n’en trouverez aucune trace dans le clan républicain contemporain. Son leader incontesté, Donald Trump, les figures de proue du parti et une majorité de ses partisans persistent à répandre le mythe selon lequel l’élection de Joe Biden en 2020 avait été entravée d’illégalités. Une élection volée, répétera Trump à satiété. C’est pourquoi la certification du résultat de la récente présidentielle, tenue le jour même du quatrième anniversaire de l’insurrection du 6 janvier, revêt une importance particulière. C’est en quelque sorte l’une des dernières occasions de faire honneur à la mémoire des faits que les tenants du trumpisme attaquent sans relâche lorsqu’ils vont à l’encontre de leurs ambitions voraces.
Le président sortant, Joe Biden, s’est d’ailleurs donné la peine de publier dans le Washington Post une lettre ouverte exhortant ses compatriotes à ne pas oublier ni réécrire l’histoire du 6 janvier 2021, un moment de disgrâce unique dans l’histoire de la démocratie américaine.
Il y a quatre ans, Donald Trump a battu la caisse de résonance et chauffé les esprits jusqu’à ce que ses partisans, parmi lesquels s’étaient faufilés des miliciens d’extrême droite armés, envahissent le Capitole. Environ 140 membres de la police ont été blessés dans la cohue. Neuf personnes sont mortes, dont quatre policiers qui se sont enlevé la vie dans les mois suivant l’insurrection. Les élus terrorisés avaient dû se barricader comme ils le pouvaient ou évacuer l’enceinte de toute urgence. Les appels à « pendre Mike Pence », alors vice-président et responsable de la certification du vote, avaient fusé pendant toute cette journée chaotique que Donald Trump savourait à la télévision. Si les agents chargés de sa protection ne l’en avaient pas empêché, il serait allé rejoindre les belligérants au pied du Capitole.
Une commission d’enquête du Congrès, reposant sur 1000 témoignages et 140 000 pages de documents, en est arrivée à la conclusion que l’assaut contre le Capitole était « le point culminant d’une tentative de coup d’État » qui comprenait également la multiplication des poursuites frivoles et des pressions ourdies par la garde rapprochée de Trump pour trouver des grands électeurs de substitution. Trump était « au centre de ce complot », a conclu la commission.
Qu’en pense le principal intéressé ? Donald Trump s’évertue aujourd’hui à repositionner l’insurrection du 6 janvier 2021 comme « une journée
d’amour ». Il a promis durant la campagne de gracier certains des émeutiers, une possibilité qui révulse l’ex-sergent de police du Capitole Aquilino Gonell, sévèrement blessé lors des événements. Dans son plus récent point de presse à Mar-a-Lago, Trump n’a pas voulu se prononcer sur la question du pardon. La prise de force du Groenland et du canal de Panama (!) occupait l’esprit du « génie stable » de la Maison-Blanche.
Récemment, Joe Biden a accordé une Médaille présidentielle de la citoyenneté à la républicaine Liz Cheney. À la fois critique et adversaire de Trump dans la course à l’investiture, elle avait aussi agi comme vice-présidente de la commission d’enquête du Congrès qui a voulu tenir Donald Trump pour responsable de ses actions. Défaite en 2022 dans l’État du Wyoming, cette figure de la résistance au trumpisme est maintenant la cible des républicains et du président Trump. Ceux-ci souhaitent le déclenchement d’une enquête du FBI sur sa conduite. L’heure de la rétribution a sonné, et pas seulement pour elle.
Il est difficile de prédire ce que l’histoire retiendra de l’insurrection du 6 janvier 2021 et de l’implication de Donald Trump dans cette tentative de coup d’État indigne d’un régime démocratique. Le président aura quatre ans pour répandre les pires calomnies pour un public converti sans être inquiété par la justice. L’histoire n’est cependant pas un matériau neutre qu’il pourra réécrire à sa guise, dans le contrôle absolu de l’arc narratif. La vérité « alternative » ne doit pas l’emporter sur les faits, au risque d’ébranler encore plus l’édifice démocratique.
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