Trump, le canard boiteux
Donald Trump entame son deuxième mandat dans une position de force indéniable. Or, il reste malgré tout un président plus près de la sortie que de son entrée.
En étant assermenté pour un second mandat lundi, Donald Trump entre dans un club très fermé : celui des présidents ayant fait deux mandats non consécutifs.
Trump en est seulement le deuxième membre. Le premier, Grover Cleveland, s’était présenté, comme Trump, lors de trois élections consécutives — en 1884, 1888 et 1892, gagnant la première et la troisième fois, la dernière de la façon la plus convaincante. Contrairement à Trump, il avait toutefois remporté le suffrage universel les trois fois. Trump n’a eu le dessus qu’en 2024, et par une faible marge de 2 millions de votes sur 152 millions.
Les deux hommes sont donc aussi les seuls à chacun officiellement « compter pour deux présidents » : Cleveland était le 22e et le 24e, Trump, le 45e et maintenant le 47e. Cela mène à une situation exceptionnelle d’un point de vue non seulement historique, mais politique.
Depuis la ratification du 22e amendement de la Constitution américaine en 1951 et l’imposition d’une limite de deux mandats pour un président (qu’ils soient consécutifs ou non), les deuxièmes mandats des présidents étant parvenus à être réélus ont généralement été pénibles.
On cite souvent les scandales du Watergate pour Richard Nixon et Iran-Contra pour Ronald Reagan, des affaires d’espionnage politique et de trafic d’armes, respectivement. Plus récemment, George W. Bush et Barack Obama ont tous deux eu une difficulté inouïe à accomplir quoi que ce soit sur le plan législatif au cours de leur deuxième mandat avec un Congrès dominé par le parti adverse.
Lors d’un second mandat, le président n’a pas encore été assermenté qu’il fait déjà face à une sorte de fatigue du pouvoir et qu’on peut déjà le qualifier de canard boiteux. Le contraste est alors souvent vif avec l’arrivée à la première prestation de serment, auréolée d’un sentiment général de nouveauté et de changement.
L’assermentation de 2025 de Donald Trump est, en ce sens, particulière. Il domine plus que toute autre figure politique l’espace public américain depuis maintenant une décennie entière. Et il arrive non seulement en promettant du changement, mais en étant dans une position politique plus solide que la première fois.
Il y a, tout d’abord, les élus. Comme en 2017, Trump entamera son mandat avec le Parti républicain majoritaire dans les deux chambres du Congrès. Or, contrairement à 2017, les critiques majeurs au sein de son parti à Washington n’existent plus. Les John McCain, Jeff Flake et Bob Corker ne font plus partie du paysage. Des dissensions internes émergeront inévitablement sur certains enjeux, mais les caucus à la Chambre et au Sénat sont davantage teintés de la couleur « MAGA » (le programme Make America Great Again) qu’à ce stade il y a huit ans.
Ensuite, il y a les électeurs. Non seulement Trump a remporté une victoire plus nette que celle de 2016 face à Hillary Clinton — on ne peut cette fois lui reprocher d’avoir reçu moins de votes que son adversaire ou d’avoir bénéficié de l’ingérence de la Russie —, mais l’opinion publique est davantage dans son camp à la fin de la période de transition.
Quelques jours avant sa première prestation de serment, en janvier 2017, le réseau CNN avait sondé les Américains pour savoir ce qu’ils pensaient de la gestion de la transition du pouvoir par Trump. Seuls 40 % disaient l’approuver, contre 52 % qui la désapprouvaient. Trump n’avait pas encore commencé que sa lune de miel était déjà terminée.
En janvier 2025, lorsque CNN a posé la même question aux Américains, les pourcentages étaient inversés : 52 % d’entre eux, soit une majorité, disaient approuver l’actuelle transition menée par Trump et son équipe, contre 41 % qui la désapprouvaient.
Les électeurs partagent aussi certaines des priorités du nouveau président, à commencer par sa toute première — l’immigration. Selon de récents sondages du New York Times et du Wall Street Journal, une majorité d’électeurs sont favorables à l’idée de déporter la totalité des migrants entrés illégalement au pays au cours des dernières années. Lorsqu’il est question de migrants ayant un dossier criminel, les appuis avoisinent les 80 %.
Indépendamment de l’opinion des élus ou de l’ensemble des électeurs, il ne faut pas non plus négliger l’infrastructure pro-Trump qui a fait des bonds quantiques au sein de plusieurs médias alternatifs américains, offrant au président un réseau de militants dévoués à la propagation de son message.
Malgré cela, les voyants ne sont pas tous au vert pour Trump.
À moins d’une surprise historique, les démocrates seront favoris pour gagner la majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2026. D’ici là, il n’est pas difficile d’imaginer une multitude de points de rupture au sein de la coalition électorale de Trump. Des tensions se font déjà sentir entre ses alliés du monde de la techno et ceux associés à l’extrême droite au sujet des visas délivrés aux travailleurs qualifiés dans le domaine de la technologie.
Et, bien sûr, il y a — comme toujours — les impondérables.
Deux mois après la seconde assermentation de Grover Cleveland, en mai 1893, la panique s’emparait de la Bourse de New York. Elle allait déboucher sur l’une des pires crises économiques et financières du XIXe siècle. L’année suivante, en 1894, le Parti démocrate de Cleveland perdait 105 sièges à la Chambre — l’équivalent d’environ la moitié de son caucus. Deux ans plus tard, il était chassé de la Maison-Blanche — qu’il n’allait plus reprendre pendant les deux décennies suivantes.
Trump (re)commence donc au sommet. La question : combien de temps y restera-t-il ?
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