L’art de la capitulation
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, retenait son souffle depuis la réélection de Donald Trump. Ce souffle lui a été brusquement coupé dès l’ouverture de pourparlers d’accord de « paix » amorcés d’abord avec son voisin envahisseur, Vladimir Poutine, et proposant de céder d’emblée aux conditions posées par cet instigateur d’une interminable guerre meurtrière. Donald Trump, soi-disant maître de l’« art of the deal » (ou de la transaction), annonce plutôt une leçon magistrale dans l’art de la capitulation.
D’un seul appel téléphonique « fort productif » de 90 minutes avec le président russe, Vladimir Poutine, le président américain a tiré un trait sur trois ans d’isolationnisme occidental, dont les États-Unis, sous l’égide de son prédécesseur, Joe Biden, avaient jusqu’ici été les plus fervents protecteurs. Volodymyr Zelensky ne serait « informé de la conversation » lançant des négociations de paix que par la suite.
Pendant qu’à Bruxelles et à Munich, le président ukrainien implorait ses alliés européens de continuer à l’épauler, Donald Trump rejoignait Vladimir Poutine sur le terrain d’un nouvel ordre mondial voyant les plus puissants se départager à eux seuls leurs visées expansionnistes. Les Ukrainiens n’y seraient, à en croire les paroles du président américain, que des pions géostratégiques entre deux bourreaux (l’un militaire, l’autre psychologique) impérialistes.
Les autorités américaines ont beau avoir essayé de tempérer ses propos, Donald Trump, qui s’astreint rarement à écouter l’avis de ses conseillers, a déjà tout dit. L’Ukraine « pourrait être russe un jour ». Ou pas. La Russie « pourrait faire des concessions » pour en arriver à un cessez-le-feu. Ou pas.
L’Ukraine, en revanche, ne retrouverait certainement plus ses frontières d’avant la première invasion russe de 2014 en Crimée — des concessions territoriales auxquelles M. Zelensky avait entrouvert la porte, mais auxquelles M. Trump vient de l’obliger. Et Kiev devrait renoncer à se joindre à l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) — une perspective qui demeurait lointaine, mais qui vient d’être formellement écartée. Ces deux espoirs ukrainiens étant « irréalistes » de l’avis du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, son gouvernement reprenant à son compte les refus catégoriques de Moscou.
Fragilisé par une guerre qui s’éternise ainsi que par une fatigue populaire à l’endroit de son mandat présidentiel étiré, le président Zelensky vient d’être mis au pied du mur.
Le respect de l’inviolabilité de l’intégrité territoriale est quant à lui officiellement renié. Un feu vert à la Russie pour recommencer, ou à la Chine pour l’imiter.
Certes, les délégués de Donald Trump affirment que Kiev aura son siège à la table de pourparlers. Et ils avancent que Moscou sera tenu de négocier de bonne foi. Dans quelle réalité alternative, cependant, ces gages seront-ils évalués ? Sachant que le président américain réécrit l’histoire en prétendant que la Russie a envahi l’Ukraine en riposte à son expulsion du G8 devenu le G7 (Moscou en a été exclu précisément en raison de cette première invasion) ou que les États-Unis fournissent davantage d’aide à l’Ukraine que l’Union européenne (alors que c’est le contraire). Qu’il s’exprime par ignorance ou par duplicité, le président trahit son ineptie.
Sa diplomatie transactionnelle est tout aussi indécente. Non seulement le président Zelensky perd l’appui de son plus puissant allié, mais il doit en outre s’abaisser à se réjouir de ne pas perdre l’important soutien militaire et financier des États-Unis en acceptant de les voir lui extorquer en échange 500 milliards de dollars en minéraux rares.
Les pays membres de l’OTAN n’ont été aucunement rassurés, eux non plus. Entre un enchaînement de slogans simplistes ou de récriminations surréalistes, le secrétaire Hegseth et le vice-président J.D. Vance les ont prévenus que la sécurité du continent européen n’était plus la priorité des États-Unis (que dire de celle du Canada) et qu’il leur reviendrait de financer adéquatement leur défense (au prix de 5 % de leur PIB et non plus de la cible commune de 2 %). Un appel à prendre en main leur propre sécurité, donc, pendant que les États-Unis négocient avec la Russie celle de leur flanc Est sans les consulter…
L’Europe s’est entêtée à ignorer les avertissements lancés par Donald Trump dès son premier mandat. Il n’y a aucune assurance qu’il se gardera d’aller jusqu’à désengager ses troupes des exercices militaires de l’alliance cette fois-ci.
Volodymyr Zelensky espérait la semaine dernière convaincre les membres de l’OTAN de lui promettre les garanties de sécurité nécessaires à ce qu’il se permette d’envisager une fin à cette guerre. Il est plutôt reparti bredouille, abandonné par Donald Trump, tout comme l’Europe dans son entier.
Les États-Unis ont beau demeurer membres de l’OTAN pour l’instant, ils n’en sont déjà plus un allié.
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