Trump and Putin, the Same Religion?

<--

Trump et Poutine, une même religion?

Denis Müller, théologien et éthicien, professeur honoraire aux Universités de Genève et de Lausanne, revient sur le parcours religieux des deux hommes d’État.

Comme l’a montré Michel Eltchaninoff («Dans la tête de Vladimir Poutine» (2022), le leader du Kremlin n’a de cesse au fil des années d’instrumentaliser les valeurs chrétiennes et de se réclamer d’auteurs prestigieux comme Kant, Dostoïevski et Berdiaev (lesquels ont tous un rapport ciblé au christianisme). À la suite du patriarche orthodoxe de Moscou Mgr Kyrill, il défend pourtant une théorie des valeurs chrétiennes qui vient fonder sa vision de la société russe conservatrice héritée du soviétisme et du KGB.

Poutine, fils d’une mère croyante et d’un père athée, partage les valeurs cardinales de la société soviétique: avant tout, le patriotisme et la culture militaire. Une vision conservatrice le conduit à occulter toute critique du passé; ce qu’il critique, au contraire, c’est le déclin actuel de l’Occident et des valeurs qui lui sont normalement liées.

Nous avons affaire paradoxalement à un Poutine altruiste et pacifiste, pour qui les valeurs chrétiennes font partie de la sainte Russie. On comprend mieux dès lors comment le pacifisme qu’il affiche aujourd’hui conduit à nier la violence initiale de la guerre contre l’Ukraine.

La comparaison avec Donald Trump est de ce point de vue assez éclairante. D’origine presbytérienne et réformée, Trump n’a certes pas la culture «philosophique» et «théologique» de Poutine; son parcours religieux, assez superficiel, se distingue de l’engagement de Poutine au sein et aux côtés du patriarcat orthodoxe de Moscou.

Par sa conception économique et politique du monde, Trump confirme sans le savoir les analyses de Max Weber sur les relations entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme; mais, contrairement à Weber, il interprète ce lien de manière sauvage et brutale: les valeurs prétendument chrétiennes entraînent une vision réactionnaire et l’esprit du capitalisme se résume à l’idéologie du deal, c’est-à-dire à la dimension éhontée du profit. Elon Musk incarne de manière sidérante ce dévoiement total du calvinisme historique et moderne.

Sur le fond, Trump et Poutine semblent donc bel et bien se rejoindre: leur lutte commune contre le wokisme s’enracine dans une conception traditionnelle de la foi chrétienne et de ses valeurs. Poutine s’inscrit dans un étatisme nationaliste d’inspiration chrétienne; Trump croit dur comme fer à l’union sacrée du pouvoir et de la religion. Par-delà leur contexte politique très différent, leur rapport à la foi chrétienne est identique. La démarche idéologique de Poutine comme celle de Trump méprisent autant la démocratie que la raison, et cela au nom même de la religion.

L’instrumentalisation poutinienne des valeurs chrétiennes a conduit à une justification scandaleuse de l’invasion russe de l’Ukraine; chez Trump, massivement soutenu par les mouvances les plus fondamentalistes de l’évangélicalisme, il n’y a plus aucune distance critique entre l’action politique et la foi; chaque événement de sa vie (en particulier son assassinat manqué) devient marque messianique de son élection, au double sens, théologique et politique, de ce terme.

Soyons clairs: avec ces deux «exemples», nous sommes en train d’assister à l’effondrement de la rationalité universelle comme à la dévalorisation de la foi chrétienne dans sa portée pratique libératrice.

About this publication