The geopolitical scientist Dominique Moïsi decodes the Democrats’ strategic discussions on Trump.
American progressives are looking for a candidate that embodies a credible opposition to Donald Trump in the 2020 presidential election, but they cannot agree on a strategy. Dominique Moïsi, a specialist in international relations and a special adviser at the Institut Montaigne, as well as author of numerous essays, including La Géopolitique des series (Stock), analyzes the Democratic family’s internal debates.
L’Express: There is more and more of a question in Washington and New York of the reawakening of left-wing ideas. Is that an illusion or is it reality?
Dominique Moïsi: This reawakening is undeniable, but it exists alongside deepening tensions between a left that is firmly grounded in rather radical positions and a left that is more compatible with a free market economy. In many ways, Trump seems aware of this split among progressives and one can really wonder if a good number of his actions are not an attempt to nudge the Democratic Party’s center of gravity toward the left. He has 2020, the year he will seek re-election, in mind.
L’Express: Oh yeah, you really think he is counting on the Democrats moving left?
Moïsi: Yes, of course, because that would work to his advantage by making the alternative to Trumpism more or less a prisoner of radicalism; if extreme positions on the American left start to add up, that will, in reality, make left-leaning candidates harder to elect, because centrist candidates win presidential elections in the United States just like in France! A left that is too far left is the best gift that Democrats could give Trump. There are many historical precedents for encouraging the opposing side to radicalize.
L’Express: Who are you thinking of?
Moïsi: François Mitterand, for one, and his great skill in this domain! The development that he encouraged on the far-right of the National Front party created a lasting problem for the opposition to socialism, assuring Mitterand’s re-election in 1988.
L’Express: Precisely. Let’s get back to the United States. Is the American left overwhelmingly falling into the trap that Trump is setting for them?
Moïsi: Exactly! And that was already the case during the 2016 primaries, with Bernie Sanders’s supporters, who did not really recover and did not turn out for Hillary Clinton.
L’Express: Is there a Democrat today whose profile can unite radicals and centrists?
Moïsi: Nothing, sadly, is less certain. Some seem to me to be betting on an opposite strategy, simply abandoning the Democratic Party in the hopes of creating, at the center, a new trans-partisan ticket to unite the center-left and the center-right.
L’Express: It is the American version of Macronism!
Moïsi: Absolutely! The moderate American left is looking in the direction of this centrist “overtaking.” One man currently embodies this aspiration, and that is the former mayor of New York, Michael Bloomberg. He is hesitating, nevertheless, on this strategy because both Democrats and Republicans are polarized. And he is wondering if it is wise to create a third party in the center, like En Marche! He is also wondering if it might be better for him to fight to conquer the Democratic Party, banking on the realism that could prevail within the party if it appears that the only chance of beating Trump lies in taking a moderate stance. As for “classic” Democrats, they are thinking a lot right now about a ticket between Joe Biden and a younger black woman, while the ex-CEO of J.P. Morgan is also letting his political ambitions show, even though he no doubt embodies the spirit of capitalism too much for the left.
L’Express: A very mixed ideological landscape that is evolving as we speak…
Moïsi: Yes, but sadly, in spite of this emergence of initiatives and scenarios, Trump’s re-election remains the most likely scenario. Trump, by the way, is very much something other than a simple accident of American history.
L’Express: What does that mean? He is helped by isolationism?
Moïsi: And by a growing rejection of multilateralism that was already present several years before his election. America had entered, before Trump, a new “Jacksonian” moment* that he is unfolding and making more intense. To put it plainly, Trump is bringing about a new separation between America and the rest of the world. The only viable alternative could come from an American style Macronism.
*Author’s note: This is a reference to Andrew Jackson, the seventh president of the United States, who defended an isolationist foreign policy at the beginning of the 19th century. Trump hung his portrait in the Oval Office.
"Trump encourage les démocrates à se gauchiser"
Propos recueillis par Alexis Lacroix,
publié le 21/11/2018 à 15:00
Le géopolitologue Dominique Moïsi décrypte les interrogations stratégiques des démocrates face à Trump.
Les progressistes américains cherchent à incarner une opposition crédible à Donald Trump pour la présidentielle de 2020. Mais ils se divisent sur les stratégies. Dominique Moïsi, spécialiste des relations internationales et conseiller spécial à l'Institut Montaigne, auteur de nombreux essais, dont La Géopolitique des séries (Stock), analyse les débats internes à la famille démocrate.
L'EXPRESS. Il est de plus en plus question à Washington et à New York du réveil de la pensée de gauche, face au trumpisme. Mirage ou réalité ?
Dominique Moïsi : Ce réveil est incontestable, mais il coexiste avec un approfondissement du champ de tension entre une gauche campant sur des positions assez radicales et une gauche plus compatible avec l'économie de marché. Par maints aspects, Donald Trump semble conscient de ce clivage des progressistes et on peut réellement se demander si nombre de ses actions ne sont pas une tentative d'encourager un déplacement du centre de gravité du parti démocrate vers la gauche. Il a en tête 2020, l'année où il va essayer de se faire réélire.
Ah oui, vous pensez sérieusement qu'il joue la gauchisation des démocrates ?
Mais oui, bien sûr, car celle-ci irait dans le sens de ses intérêts, en rendant l'alternative politique au trumpisme peu ou prou prisonnière de la radicalité ; si les positions dures se multiplient dans l'espace politique de la gauche américaine, cela la rendra de facto plus difficilement éligible, car les présidentielles se jouent au centre, également aux Etats-Unis ! Une gauche de gauche est le meilleur service que les démocrates puissent rendre à Trump. Il y a de multiples précédents historiques de ces encouragements intéressés du camp adverse à la radicalité.
Vous pensez à qui ?
Ne serait-ce qu'à François Mitterrand ! Et à sa maestria dans ce domaine. Le développement, à la droite de la droite, du Front national, qu'il a favorisé, a posé un problème durable à l'opposition au socialisme, assurant à Mitterrand sa réélection en 1988.
Justement, revenons aux Etats-Unis. La gauche américaine tombe-t-elle massivement dans le piège que lui tend Trump ?
Tout à fait ! Et c'était le cas, déjà, lors des primaires de 2016, avec les voix de Bernie Sanders qui ne se sont pas bien reportées et ont gravement manqué à Hillary Clinton.
Existe-t-il, aujourd'hui, parmi les démocrates, un profil apte à réunir centristes et radicaux ?
Rien n'est, hélas, moins sûr. Certains me semblent faire le pari inverse. Celui de la désertion pure et simple du parti démocrate, avec la perspective de créer, au centre, un nouveau ticket transpartisan, fédérant centre gauche et centre droit.
C'est du macronisme version US !
Absolument ! La gauche américaine modérée regarde en direction de ce "dépassement" centriste. Un homme, actuellement, incarne d'ailleurs cette aspiration, c'est l'ancien maire de New York Michael Bloomberg. Il hésite, néanmoins, sur la stratégie, en raison des dérives symétriques des démocrates et des républicains. Et il se demande s'il est judicieux de créer un troisième grand parti au centre, à l'instar du modèle d'En marche. Il se demande aussi s'il ne peut pas être préférable pour lui de se battre pour conquérir le Parti démocrate en misant sur le réalisme qui pourrait s'imposer en son sein s'il apparaît que la seule chance de battre Trump réside dans une ligne modérée. Quant aux démocrates classiques, ils songent beaucoup en ce moment à un "ticket" entre Joe Biden et une femme noire plus jeune, tandis que l'ex-patron de JP Morgan laisse également filtrer ses ambitions politiques, quoiqu'il incarne sans doute trop pour la gauche l'esprit du capitalisme.
Un paysage idéologique très composite, et en pleine évolution...
Oui , mais hélas, pour l'heure, malgré ce fourmillement d'initiatives et de scénarios, la réélection de Donald Trump demeure néanmoins le scénario le plus probable. Trump, d'ailleurs, est sans doute bien autre chose qu'un simple accident de l'histoire américaine.
C'est-à-dire ? Il est porté par l'isolationnisme ?
Et par un refus croissant du multilatéralisme qui a précédé de plusieurs années son élection. L'Amérique est entrée, avant lui, dans un nouveau moment "jacksonien" (1) qu'il déploie et intensifie. En clair : Trump réalise un nouveau divorce de l'Amérique avec le reste du monde. La seule véritable alternative politique pourrait surgir d'un macronisme à l'américaine.
(1) En référence à Andrew Jackson, septième président des Etats-Unis qui défendait une politique étrangère isolationniste, au début du dix-neuvième siècle. Donald Trump a fait accrocher son portrait au-dessus du Bureau ovale.
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