Sur le pied de guerre
Barack Obama a prononcé mercredi soir un discours qu’il n’aurait jamais pu imaginer avoir à faire. Treize ans, à un jour près, après les attentats du 11-Septembre, le président a mis le doigt des États-Unis dans l’engrenage d’une autre guerre — ou sinon d’une guerre revisitée — en cultivant auprès de son opinion publique, non sans s’en défendre, des illusions similaires à celles qu’avait fait miroiter George W. Bush quand il s’est lancé à l’assaut de Saddam Hussein, en mars 2003.
La « doctrine » de M. Obama, si tant est que ce soit davantage qu’une stratégie ponctuelle, s’articule autour de frappes aériennes « ciblées » sans déploiement de troupes au sol — en Irak et, maintenant, en Syrie, où sévit depuis trois ans une guerre civile d’une violence inouïe. En plus idéologique, l’ex-président Bush n’avait pourtant pas préconisé une solution radicalement différente en lançant au soir du 19 mars 2003 l’opération « choc et stupeur ». Une série de frappes dites chirurgicales sur Bagdad devaient dans un tout premier temps, espérait-il, faire le gros du travail en débarrassant vite le paysage géopolitique de Saddam Hussein. Après quoi, l’invasion terrestre de la machine de guerre anglo-américaine allait confirmer en deux temps trois mouvements la naissance de la nouvelle démocratie irakienne, sans effusion de sang américain. Bref, une formalité.
M. Obama se montre plus nuancé, ou du moins beaucoup plus prudent. D’un président à l’autre, la doctrine a forcément évolué en fonction de l’aversion des Américains, et d’elle seule en fait, pour toute intervention militaire terrestre au Moyen-Orient. À deux mois des législatives de mi-mandat au Congrès, l’impopulaire M. Obama obéit à des impératifs de politique intérieure — et à des sondages qui attendent de lui qu’il gonfle les muscles après la décapitation par l’État islamique (EI) de deux journalistes américains. Il n’avait pas de stratégie il y a une semaine, il en a une depuis mercredi soir.
S’agissant « d’affaiblir et, à terme, de détruire l’EI », le président américain a certes reconnu au passage dans son discours éclair que « cela prendra du temps » — du haut des airs. Très illusoire, soulignent cependant bien des experts, que la guerre contre l’EI puisse être militairement efficace sans troupes de combat. S’il est logique et utile, ce faisant, de vouloir coaliser le monde arabe autour de l’initiative américaine, quelles sont pour autant les chances que toutes ces dictatures accepteront de se mobiliser véritablement contre une mouvance violente et intégriste, excroissance d’al-Qaïda, qui déstabilise leur région au premier chef ? Faute de quoi, l’offensive antiterroriste de M. Obama se résumera à ce qu’il est possible qu’elle soit tout simplement : une opération de relations publiques destinée, à deux ans de la fin de sa présidence, à calmer les peurs et la colère de l’opinion américaine.
Au demeurant, l’EI n’est pas seulement un « cancer », pour reprendre le mot de M. Obama, mais aussi un virus dont les militants se répandent en milieu urbain. Aux persécutions qu’ils font subir aux populations civiles va se jouxter le mal qu’infligera inévitablement la politique présidentielle du drone.
Qui plus est, M. Obama a reconnu dans son discours que l’EI ne constituait pour le moment pas une « menace directe » pour les États-Unis. Là encore, son approche fait écho à la politique très controversée de« frappes préventives »qu’avaient préconisées les néoconservateurs face à Irak. L’histoire se répète beaucoup trop. 2003 avait donné lieu à des manifestations antiguerre comme les États-Unis n’en avaient pas connu depuis la guerre du Vietnam. Cinq ans plus tard, M. Obama était élu sur promesse de sortir de l’ornière. En quoi en sera-t-il sorti ?
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